jeudi 30 juin 2011

Histoire désinvolte - Épisode 4

Mais ne nous égarons pas trop sur des chemins de traverse qui bien souvent ne mènent nulle part, comme le savait pertinemment Martin Hei(l !)d., qui était loin d’être un âne. Vouloir rentrer dans la politique, c’est comme vouloir entrer dans la carrière quand les aînés ne sont pas du tout décidés à en sortir : this means war, my dear boy ! Et la guerre, ce n’est guère que la politique poursuivie (jusqu’à ce que mort s’en suive) par d’autres moyens ; même quand il s’agit d’une guéguerre — ce qui n’était pas le cas de la guerre d’Algérie qui était une vraie guerre (de la liberté) ; même si elle n’était présentée que comme une simple opération de (basse) police par ceux qui la menaient contre les « rebelles » qui « semaient le désordre » et qui, conséquemment, récoltèrent des balles — qui ne furent donc pas perdues pour les « beaux enfants » (maghrébins) qu’elles fauchaient dans la fleur de l’âge — et de l’électricité dans les couilles en prime — parce que c’était tout de même une guerre avec tout le confort moderne — jusqu’à ce que tout rentre dans l’ordre — ou peu s’en faut. Si je vous parle de la guerre d’Algérie, c’est parce que Guy D. et ses amis aimaient bien l’Algérie (et les Algériens) — au départ, c’était surtout les bistrots algériens, où en plus de se rincer la dalle bon marché, on trouvait du haschich et du kif à des prix tout à fait raisonnables — ; et qu’ils se devaient de prendre partie pour ces fiers combattants contre lesquels la République Française envoyait au casse-pipe de jeunes pioupious qui auraient pu être leurs frères — comme ces anciens « Moineaux » qui refusèrent de collaborer à cette ignominie ; et qui appelaient à la désertion avec les 121. La Déclaration des 121 que signa le jeune Guy — et Michèle B.— n’était sans doute qu’une pétition (de principe) ; mais qui exposait tout de même ses signataires à être embastillés par la République — nonobstant le fait que cette République, cinquième du nom, ne doit précisément son existence qu’à la prise et à la destruction de cette Bastille — qui reste la mère (symbolique) de toutes les forteresses de l’iniquité encore à abattre — par de farouches sans-culottes qui étaient les « rebelles » de l’époque. Ce serait presque à vous dégoûter de vouloir faire une révolution ; mais les situationnistes n’étaient pas dégoûtés pour autant : ils avaient vraiment l’intention d’en faire une, de Révolution — pourtant si l’on veut bien considérer avec le vieil G.W.F. H. que « la vérité de l’intention est dans le résultat », il faudra admettre que ce fut là un échec : mais les causes perdues ne sont-elles pas les plus belles ? — ce qui n’empêche pas qu’elles soient perdues — et quand bien même ce n’est pas bêtement — ce n’est tout de même pas très intelligent, il faut bien le reconnaître — ; d’ailleurs, le vieux D. devra bien finir quand même par admettre qu’il avait merdé — et qu’il fallait repartir de zéro — « reprendre depuis le début », comme on peut le lire à la fin de son film testamentaire à l’usage des jeunes générations, au titre en forme de serpent qui se mord la queue ; et qui, comme il se doit, « méprise cette poussière d’images qui le compose » — ce qui est la moindre des choses pour un film anti-spectaculaire (désintégré).

Le pauvre Guy qui n’aura pas vraiment connu son père, se cherchera des pères (de substitution). Et aussi des frères28 (d’adoption) ; le dernier en date étant pour l’heure Henri L. que nous avons mentionné et sur lequel il faut revenir parce que c’est grâce à lui que Guy a rencontré un de ses nouveaux frères d’armes : Raoul V. ; « enfant perdu » lui aussi qui, une fois retrouvé et adoubé, deviendra pour un temps le nouveau pair de son « frère » Guy. Le « frère » Raoul qui pour le moment ne fait pas encore partie de la famille, est résident du royaume de Belgique, où il exerce ce qu’on appelait jadis le « noble métier d’enseignant » — qui ne consistait pas encore à faire du gardiennage en milieu hostile — ; quand il n’est pas plutôt occupé à détourner les jeunes filles mineures — imprudemment confiées à la garde de celui qui n’était pas encore connu comme le « vampire du Borinage », ni associé avec le « boucher du Jutland », au sein de cette « association de malfaiteurs » qu’était tout de même un peu l’I.S., — mais néanmoins suffisamment dessalées pour ne pas s’offusquer de cette pratique du « détournement » — par ailleurs courante chez les situationnistes qui l’appliquaient, il faut bien le reconnaître, aussi à d’autres domaines — que s’apprêtait à rejoindre le jeune Raoul ; et préférer l’aventure avec un jeune professeur rebelle, à la perspective de mener la vie — qui n’est pas toujours rose — d’une courageuse petite mère de famille flamande peu nombreuse et promise à une décomposition certaine — avant une recomposition toujours hasardeuse — suite à la disparition de l’autorité paternelle consécutive à une noyade accidentelle — quoique prévisible — dans la Gueuse lors d’une orgie de moules-frites (pas fraiches) — et qui a donc tourné en eau de boudin (noir).

Or donc, Raoul V. jeune prof en cavale avec une de ses élèves les plus douées (en libertinage) s’apprêtait à rejoindre le royaume de France et Paris, où Henri L. un autre professeur dont il était lui-même l’élève — et qui lui aussi aimait beaucoup la jeunesse quand elle est belle et révoltée comme le petit couple germanopratin, formé par Guy et Michèle D. qu’il venait de rencontrer et allait mettre en contact avec le transfuge belge qui ne demandait que ça — parce que le hasard (objectif) fait forcément bien les choses qui doivent nécessairement arriver — ne l’attendait pas si tôt ce matin-là — ou était-ce plutôt le soir qu’arriva ce visiteur ? C’est ainsi que Raoul V. rejoignit les rangs de l’I.S. La jeune recrue allait rapidement prendre du galon au sein de l’organisation ; jusqu’à acquérir une réputation (presque) égale à celle de son chef historique — ce qui est peut-être le vrai motif de la disgrâce qui le frappera ultérieurement — c’est en tout cas une hypothèse (gratuite) que j’avance et dont on fera ce qu’on voudra — ; même si celui qui fut allégué était qu’il n’avait pas su se montrer à la hauteur d’une situation éminemment historique — elle aussi — où l’action de l’I.S. devait atteindre des sommets : lors de la révolte de mai 68 — sur laquelle nous reviendrons. En effet, le bouillant Raoul, au lieu de rester faire la Révolution avec ses petits camarades, avait préféré honorer ses engagements auprès d’une dame de ses amies — qui était certainement fort honorable ; et qu’il se devait donc d’honorer comme il se doit — il s’agissait de conduire la belle pour les vacances en Espagne — la petite histoire ne dit pas si c’était à Cadix, « tchic, tchic, aïe aïe aïe » — ; ce qui lui fit malencontreusement rater l’important rendez-vous qu’il avait avec l’Histoire qui s’était mise en marche à Paris, alors qu’il était, lui, bloqué en Espagne par à une grève des trains consécutive au redémarrage, justement, de cette l’Histoire dont il put ainsi goûter pleinement l’ironie — qui consistait en l’occurrence à réduire un situationniste (historique lui aussi) au rôle de spectateur d’une révolution qu’il avait appelée de ses vœux — qui s’avérèrent ainsi ne pas être pieux puisqu’ils étaient en train, justement, de se réaliser — mais sans lui — ; ce que ne devait pas manquer de lui reprocher par la suite son « frère » Guy qui n’aurait pas hésiter alors à le mettre illico presto en vacances d’I.S. — si celui-ci n’avait pris lui-même les devant en démissionnant — dans le même mouvement qu’il y mettait l’I.S. en se mettant lui-même en congé d’icelle  : ce qui équivalait à une liquidation générale — qui fut enregistré par l’Histoire sous l’appellation de : Véritable scission dans l’Internationale ; ce qui signifiait en clair qu’il y avait D. d’un côté et plus rien de l’autre — ; ce qu’ayant subodoré, « frère » Raoul avait anticipé, comme je viens de l’indiquer, en annonçant qu’il renonçait désormais à faire partie d’une confrérie décidément aussi haïssable que n’importe quelle famille. Mais encore une fois, je me laisse aller moi aussi à anticiper ; ce qui n’est pas bien lorsqu’on raconte une histoire parce qu’on en dévoile ainsi la fin — ce qui n’a pas d’importance parce que (ici et) maintenant tout le monde la connaît ; enfin, quand je dis tout le monde c’est façon de parler, parce qu’il ne s’agit que de ceux qu’elle intéresse, évidemment — d’ailleurs, qui se passionnerait pour une histoire qui ne présenterait aucun intérêt pour lui ? — personne, je ne vous le fais pas dire — puisque c’est moi qui vous le dis — mais vous auriez certainement dit la même chose si on vous l’avait demandé — et peut-être même sans qu’on vous le demande — mais, de toute façon, je ne vous demande rien : je raconte, enfin j’essaie. Poursuivons donc ; c’est-à-dire : reprenons là où nous en étions resté : in medias res ; ou peu s’en faut.

(À suivre)


Notes

Note 28.
Jean-Marie Apostolidès écrit (Les Tombeaux de Guy Debord , Champs/Flammarion, 2006.) : « […] l’étude concrète des conditions de fonctionnement de groupes d’avant-garde montrent que les idées qui prévalent sont celles des hommes qui triomphent dans les combats fratricides pour le pouvoir et la légitimité au sein de ces groupes. » ; et : « […] être c’est être plusieurs, c’est exister d’abord au sein d’un groupe qui vous reconnaît. Il [Debord] ne se sent pleinement vivre que dans l’atmosphère des égaux. L’égalité absolue des frères empêche théoriquement l’émergence d’une figure paternelle qui a toujours hanté Debord et qu’il redoute autant qu’il en souhaite la venue. »

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