samedi 30 juillet 2011

L’Orpailleur : Fragments – Épisode 5

6.

Après avoir déposé son bagage, il était ressorti. Il avait parcouru les rues fébrilement ; comme un animal qui revient dans un lieu familier se précipite d’instinct à des endroits marqués de la mémoire dont il garde la trace par delà les ravages et l’oubli du, temps.

Il avait marché longtemps dans un état second ; ou plutôt celui-ci était-il le résultat de cette marche rapide que l’on pourrait rapprocher des girations accélérées du derviche tourneur.

Il se retrouvait devant l’hôtel ; la nuit tombait. Il sentait la fatigue. Il se souvenait d’avoir bu plusieurs verres dans différents bars de rencontre. Dans son esprit diffus, les vapeurs alcooliques achevaient de dissoudre l’objectivité du monde ; et dans l’escalier étroit et vertigineux qui menait à l’étage, les eaux mêlées de la multiplicité roulaient indifféremment l’or et la boue.

Dans la pénombre habitée de la chambre, Gilles sombrait, un trou béant sous la ligne de flottaison de la conscience, par où s’échappait l’âme.

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Ils marchaient indéfiniment le long du boulevard. Ils ne savaient pas quand cela avait commencé, ni quand cela finirait — cela ne finirait donc jamais ? Tout était devenu étrangement lent et feutré. Inexorablement, leurs gestes se figeaient. Ils se tenaient côte à côte, prisonniers d’un monde englouti, scaphandriers aux semelles de plomb dont la vie n’était plus suspendue qu’à un fil au bout duquel tourbillonnait le grand cerf-volant pneumatique, loin au-dessus de leurs têtes cuirassées. Dans le silence glacé des abysses, une voix répétait mécaniquement : « À quoi bon, Gilles ; à quoi bon. » Immobiles à la fin, ils avaient tourné leurs visages l’un vers l’autre : sous une chevelure de gorgone pétrifiée, deux yeux le regardaient qui pleuraient.
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7.

C’était le matin d’un autre jour qui essayait encore de s’arranger avec la nuit, quand le café au lait a la couleur d’une bourbeuse, et qu’il est déjà bien tard.

Une journée s’ouvrait dans toute sa vacuité ; un territoire vierge dont la carte ne délimiterait que le contour ; une journée offerte, sans nulle contrainte : il n’y avait pas de liberté plus grande.

Sorti de l’hôtel, il suffisait de se laisser porter par le courant ; alors les rues s’enchaînaient comme les séquences d’un rêve, selon une logique qui leur était propre, traçant à travers la ville de longues énigmes sinueuses. En errant dans ces rues, c’est sa vie que Gilles essayait de déchiffrer, laborieusement, lettre à lettre, comme un palimpseste où les couches successives d’écriture réapparaîtraient à la surface de telle sorte que la totalité des significations seraient données, mais sous une forme presque inintelligible.

(À suivre)

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