mardi 2 août 2011

La Conférence de l’Institut de Préhistoire Contemporaine – Épisode 10

C’EST BOULEVERSANT...
SUIS-JE LE SEUL À M’EN RENDRE COMPTE ?


Le lendemain, mercredi 10 août, 16 heures 15.

Ornas : Le silence est enregistré...

Raouf : J’ai rédigé une déclaration « Objection sur la tournure actuelle de la conférence ». Je veux vous la lire.

Brouhaha. Chut ! Chut ! Silence lourd.

Raouf : L’assemblée existe.

Dynamite : Tu peux relire le titre, je ne l’ai pas bien saisi.

Raouf : « Objection sur la tournure actuelle de la conférence. L’assemblée existe, nous l’avons rencontrée dimanche et c’est encore son esprit qui s’est manifesté mardi sous la forme méconnaissable de conflits particuliers. Personne ne contestera à Yves T. un moment de voyance à la Rimbaud mais cela ne saurait excuser ni justifier les insultes proférées envers nous pour de mauvaises raisons. Yves T. ne nous a pas insulté en tant que pauvre mais en tant que noir. Or le rôle du nègre dans le spectacle est précisément d’être un esclave soumis, servile et un peu con. Il nous attaque donc pour ce que nous ne voulons plus être et ce faisant, il met en cause la qualité de notre engagement. Il part d’un a priori, à savoir que tous les noirs sont les mêmes, sans que cela scandalise certains partisans de la critique de l’a priori. Il est certain qu’il existe une manipulation de la question raciale par la chienlit socialeuse qui pourrait sembler justifier la revendication d’un droit au racisme. Mais il nous semble que derrière le racisme se cache une orthodoxie, une orthodoxie de la race, c’est-à-dire un consensus implicite pour considérer certains pauvres comme inférieurs à d’autres... »

Suzanne : Pffuuuutttt ! C’est même pas vrai ! Arrête Raouf ! Tu sais très bien que Yves T. n’est pas raciste !

Raouf : Doucement, Suzanne, je t’en prie, laisse-moi terminer. Après, on discutera. « Nous sommes pour la pratique de l’injure mais à condition que l’auteur les justifie publiquement et en assume toutes les conséquences. Il y a quelques temps les surréalistes ont revendiqué le rêve comme moment de la vérité. Plus modestement nous revendiquons l’état d’ivresse comme moment réel de la vie d’un homme et ce d’autant plus que Yves T. était saoul de provocations et de lui-même. Le vin ne donne pas d’idées à ceux qui n’en ont pas. Nous sommes très honorés que notre assemblée soit comparée à la démocratie grecque mais cette analogie ne nous est pas d’un grand secours pour ce qui est de la définition des pouvoirs réels de l’assemblée. Nous désapprouvons la comparaison soutenue publiquement entre nous qui serions des citoyens et Yves qui serait le métèque. C’est l’inverse qui s’est produit. Nous sommes indignés que Jean-Luc aie passé sous silence les véritables raisons du pugilat. Nous récusons de la même façon les explications psychologiques selon lesquelles la violence de la réaction de l’assemblée s’expliquerait par des penchants secrets de cette assemblée, penchants dont Yves T. aurait été le révélateur. Nous récusons également le point de vue selon lequel tant l’attaque que la réaction à l’attaque auraient été identiquement misérables. Un principe élémentaire de la démocratie veut que les citoyens soient égaux devant l’assemblée. Ce qui exigerait des uns comme des autres, clarté, précision et justification. Le système deux poids / deux mesures que nous avons observé hier à l’œuvre nous rappelle trop la démocratie du vieux monde pour que nous nous taisions. Nous ne pensons pas qu’il existe de hiérarchie naturelle mais quand bien même ce serait le cas, il serait impensable que le négatif à l’œuvre dans cette assemblée ne la travaille pas. A bas l’implicite ! Vive l’explicite ! " Raouf, Sadoc et Fabiola

Silence de dix secondes.

Noyé : Jacques tu peux aller photocopier ce texte ?

Jacques : Oui, j’ai encore de l’argent d’hier.

Silence. Raclements de gorges, bruits de chaises qui craquent.

Dynamite : Ce texte n’est pas assez concret mais il exprime assez bien mes sentiments.

Long silence.

Ariel : Tu peux revenir sur ton deux poids / deux mesures ?

Raouf : Quand j’ai parlé d’orthodoxes, on m’a demandé de nommer les gens. Quand une autre personne a proclamé qu’elle haïssait les gens, on lui a demandé de les nommer et de justifier sa haine. Mais pour un autre, on a rien dit.

Noyé : Dans le premier cas, ce n’était pas l’assemblée, c’était moi.

Ariel : Le problème n’est pas forcément de nommer les gens.

Raouf : Non mais moi j’ai essayé de m’imaginer 2 minutes ce qui se serait passé si quelqu’un était venu ici prendre Jean-Luc à parti, l’insulter et tout ça. Est-ce qu’on aurait considéré ça comme un conflit personnel ? On m’a insulté pour de mauvaises raisons. Je n’ai pas digéré ça. Je n’ai pas dormi à cause de ça. (10 secondes de silence). Comme Jean-Luc a dit au début qu’on doit faire serment de ne partir d’ici qu’après avoir obtenu réparation sur tous les torts, j’ai pris la parole.

Eurydice : Tu appelles « conflit particulier » le fait qu’il t’ait insulté ?

Raouf : Si j’en voulais aux Suisses ou aux Belges mais pas en tant que participants de la conférence mais pour la couleur de leurs yeux, on pourrait bien estimer dans ce cas-là qu’il s’agit d’un conflit particulier. Il y a un certain malaise là autour.

Eurydice : Mais le conflit particulier, c’était quoi ?

Raouf : Il y en a eu d’autres, des pugilats aussi. (Rires) C’est le mauvais vin qui a mal tourné.

Eurydice : Je n’ai aucune envie de l’expulser, ni de lui parler et encore moins de l’entendre parler. Je suis très triste. Je reste parce que je n’arrive pas à partir mais je ne comprends pas pourquoi il est là.

Sadoc : L’aspect particulier que je vois moi là-dedans c’est que Yves T. a eu deux moments et qu’on pouvait justifier le deuxième en disant qu’il était saoul. Quand il était assis à côté de Suzanne, il a eu un moment de voyance, alors il s’est tout permis, il s’est accordé tous les droits. Il a monopolisé la bouteille de vin et Suzanne gardait la bouteille pour lui sous ses pieds.

Suzanne : J’ai toujours rempli ton verre !

Sadoc : Je ne voulais pas faire un scandale là-dessus mais après quand j’avais une bouteille, j’ai refusé de la lui passer, lui aussi à du me tendre son verre.

Suzanne : J’ai très bien compris ça.

Sadoc : Tu t’es contentée de dire que la réplique était bonne. Mais moi je ne suis pas là pour faire de bonnes répliques ! Malsain et Ornas, ses amis suisses, m’ont dit : Il ne pense pas ce qu’il dit. Il est saoul. Il n’avait pas bu depuis quinze jours.

Suzanne : Et alors ? Qu’est-ce que tu en sors ?

Sadoc : Ça ne l’autorise pas à m’insulter.

Suzanne : Mais il ne t’a pas insulté !

Ornas : Je suis intervenu parce que Jean-Luc m’a demandé s’il avait pris un truc avant de venir. Il était ivre et qu’il ait chauffé la bouteille de rosé, j’en ai rien à foutre. Parfois, je me fais traiter pour rire de bougnoule et c’est en fonction du contexte que je sais si c’est raciste. Il n’y a pas eu de racisme ici.

Brame : La question n’est pas d’examiner un cas particulier qui à mon avis finalement n’a pas nui à l’assemblée...

Noyé : N’oublions pas qu’il y a des gens qui demandent réparation.

Dynamite : D’autant plus qu’hier il y avait ceux qui se sentaient insulté et ceux qui défendaient Yves T., qui le justifiaient de différentes façons.

Brame : Il y a eu des insultes entre deux personnes...

Joan : Toutes les questions concernent l’assemblée, absolument toutes.

Brame : Je parle de l’urgence.

Joan : A décider par l’assemblée !

Brouhaha.

Brame : Nous n’avons pas à trancher les querelles particulières.

Jerry : Le racisme n’est pas une querelle particulière. Toute l’assemblée est concernée.
Yves Tenret : A propos de querelle particulière, elle a quand même eu une résolution pratique, hier cette querelle, Raouf m’a frappé et je ne lui en garde aucune rancune. J’avais tort. Je me suis enfoncé dans ma connerie. Raouf m’a dit : « Tu nous fais chier avec tes histoires de bien aimer les Noirs », je me suis vexé, j’ai foncé à l’autre extrême, j’ai couvert l’ensemble du champ des possibles, j’ai exorcisé comme le dit Marcel tous les termes, bref, j’ai raconté des inepties. J’en suis tout à fait conscient. Raouf pense que l’attaque et la défense n’étaient pas la même chose. Il a raison. L’attaque était stupide. Pour moi, c’est réglé. Je ne sais pas si Raouf est d’accord.

Noyé : L’alcool révèle des pensées profondes mais son attitude hier n’était peut-être qu’une pure provocation ?

Raouf : Je ne sais pas. Je ne peux pas me mettre à sa place.

Jerry : Yves T. a dit que pour lui ces grands-parents étaient comme des travailleurs immigrés, jamais un raciste ne dirait cela.

Noyé : Je te repose ma question. Quels sont ses partisans de la critique des a priori auxquels tu fais allusions ?

Raouf : Ben notamment toi.

Noyé : Comment sais-tu si je suis scandalisé ou non ?

Raouf (souriant bizarrement) : Par ton indulgence. Tu n’as voulu considérer que le moment où la conférence a parlé par sa bouche.

Noyé : Je ne suis pas ici pour faire la police. Et j’étais d’accord avec la méthode employée peu à peu par Yves T. Examinons l’intérêt d’être une secte etc. Oui ! Foutons le sur la table et discutons vraiment.

Raouf : Tout ça a servi à quelques personnes pour exprimer des trucs aberrants et sans avoir à les justifier. Au début, il a utilisé une forme provocatrice, il a bien vu le truc, il a senti la conférence en 5 minutes, c’est un miracle... Mais toi après tu as glorifié le négatif qu’apportait Yves T. au détriment d’autres aspects.

Noyé : Tu préjuge de ce que je peux penser. Je voulais que ce soit l’a conférence qui tranche, pas quelques individus.

Dynamite : C’était ambigu, Jean-Luc, c’était ambigu.

Noyé : Toute son intervention était ambiguë. Pourquoi l’assemblée n’a-t-elle pas tranché dès le début, sans effervescence ?

Fabiola : A propos d’implicite, Véronique a tenu des propos tout à fait ambigus. Je lui ai demandé pourquoi. Elle ne m’a pas répondu.

Ariel : Si elle t’a répondu. Elle a dit qu’on pouvait avoir des impressions et ne pas savoir les expliquer.

Fabiola : Ce qu’elle m’a fait c’est un bras d’honneur. Ma gueule ne lui revenait pas depuis le début de la conférence, dit-elle. Parmi nous, cela ne devrait pas exister ce genre de truc. Si elle a quelque chose contre moi qu’elle me le dise. C’est elle qui me semble raciste dans toute cette histoire. Je regrette qu’elle ne soit pas là.

Ariel : Elle ne va pas tarder à venir.

Sadoc : Jean-Luc, tu as dit qu’à Athènes les pauvres revendiquaient le droit d’être raciste.

Noyé : Non ! J’ai simplement signalé qu’à Athènes qui n’était pas athénien, qui n’était pas citoyen, était métèque.

Joan : Ce n’est pas du racisme ça ?

Noyé : C’était des racistes et des esclavagistes mais en face d’eux il n’avait que des barbares. Les Athéniens n’avaient pas complètement tort. Il habitait le seul endroit civilisé du monde. Bon ceci dit, l’ethnographie montre que la civilisation était partout... Je veux signaler aussi que le racisme, selon moi, il s’exerçait surtout et plus fortement contre Yves. Il avait toute une cité, 40 personnes contre lui.

Brame : La race n’existe pas. Ce sont des rapports hiérarchiques de civilisation à civilisation. Les noirs sont les représentants d’un certain type de civilisation qui est calomnié...

Noyé : Y compris par Hegel !

Brame : Depuis le monothéisme. Ce type de civilisation est très proche de la notre actuellement. Elle permet de la comprendre.

Noyé : Raouf me reproche de m’être porté au secours de Yves plutôt qu’au sien mais Yves était beaucoup plus violemment attaqué. Un avocat dans tous les pays...

Eurydice : Je ne comprends pas. On avait le tribunal parfait puis Yves T. nous a manipulés en parlant du racisme des Noirs... C’est effrayant. Il y a un grand danger là !

Dynamite : Il ne faut pas s’obséder sur les mots. S’il est très bien d’expliciter tout ce qui est implicite, ça ne veut pas dire que tout ce qui est implicite est mauvais. Avant, il y avait entre nous un implicite démocratique : on ne s’interrompait pas. Yves s’est éloigné de cet implicite. Je préfèrerais cet implicite à son explicite.

Silence grave.

Tom : C’est la vieille morale qui refait surface avec toute sa hideur. Cela me rend profondément triste de voir resurgir ça parmi des pauvres. L’objet réel, les nouvelles formes d’horreur moderne, ne semble absolument pas nous préoccuper. On retombe au B.A. BA du bolchevisme...

Noyé : L’horreur moderne est ici.

Raouf : Tu dis que c’est la démocratie !

Noyé : Lis ! Lis les antiques ! Les Thébains vaincus par Athènes, ils ont perdu la vie. C’était l’horreur permanente. Quand je glorifie Athènes, c’est pour l’audace, l’invention mais je peux la prendre aussi en exemple négatif. Pour combattre le racisme anti-raciste, j’utilise Athènes. C’est l’horreur moderne tout à fait ordinaire qui se manifeste ici, celle de ne pas pouvoir communiquer, celle de ne pas avoir de but précis, celle de ne pas pouvoir trancher. On pourrait brosser un tableau, un modèle réduit de l’horreur moderne... et éternelle ! C’était le monde qui faisait irruption brutalement, qui se rappelait à nos existences, qui nous dérangeait. Que fait la morale bolchevique là dedans ?

Tom : Elle exclut, elle élimine !

Noyé : Le fond de la querelle entre Yves et Raouf était la question de l’investissement. C’est là que le ton est monté, qu’il y a eu surenchère, poker. C’est une question profonde.

Raouf : Si je me rappelle bien, ceux qui n’investissaient pas à 100% devaient être chassés.

Yves Tenret : Je n’ai jamais dit ça. Ils devaient partir d’eux-mêmes.

Raouf : Chassés par l’intensité de l’investissement des autres.

Yves Tenret : Ils devaient être comme quelqu’un qui regarde une partie d’échec sans connaître les règles du jeu. L’investissement est la seule solution pour arriver à un total qui soit supérieur à l’addition de ses parties.

Noyé : Ma défense du non-investissement me met en contradiction avec moi-même. Chez les Grecs, il fallait convaincre les Hoplites de combattre, de livrer telle bataille avec telle stratégie. Mais une fois convaincus, à 10000, ils faisaient fuir 100000 perses. Sans livrer combat ! Tellement la détermination de leurs phalanges était impressionnante. On n’est pas ici dans une partie d’échec, ce sport cérébral qui fait perdre beaucoup de temps mais dans une activité divine, dans un projet démocratique, dans la communication. Comment cela peut-il rebuter des gens ? Pourquoi les gens payent-ils des places de cinéma pour voir le spectacle de la vie au lieu de vivre ? Et cette morale bolchevique qu’est-ce que c’est ?

Tom : C’est présumer qu’il peut y avoir des révolutionnaires sans révolution.

Dynamite : C’est pré-bolchevique. 100% d’investissement, c’est Netchaïev.

Noyé : D’accord. Tout investissement n’est pas nécessairement souhaitable. Mais il n’en demeure pas moins que pour survivre, on doit chercher un investissement total.

Dynamite : Toute personne s’investit à 100% dans sa vie, le spectateur passif de Debord, le téléspectateur, le junkie. Ça me rappelle les appels des révolutionnaires professionnels, ceux de Lénine qui disait qu’il fallait laisser son père et sa mère et suivre la révolution.

Noyé : Ou André Breton !

Dynamite : Et les Jésuites !

Silence perplexe.

Dynamite : C’est la conférence qui lui a donné du pouvoir et dès qu’il en a eu, il en a abusé.

Ornas : Quels pouvoirs ?

Dynamite : Le pouvoir de s’adresser à la conférence.

Raouf : Mais quand je lui ai donné un coup de poing, c’était la conférence qui lui donnait.

Noyé : Non. On a voté et on a décidé de ne pas l’expulser.

Brame : Marc dit que c’est un vote qui a été saboté par la majorité de l’assemblée qui ne voulait pas discuter de cette menace d’expulsion. Dans notre assemblée, la police n’existe pas.

Maniaque : Il nous pompait l’air. Il fallait décider : le vider, ne pas le vider.

Noyé : La conférence n’avait pas à se prononcer là-dessus. Raouf réclame de l’assemblée une protection de chacun contre soi-même mais ça c’est 1984, un monde dans lequel plus rien n’arrive.

Raouf : Il était devenu un obstacle à la communication. L’assemblée tergiversait, tout ce bavardage ne débouchait sur aucune décision. Le cafouillage, ce n’est pas la même chose que la libre discussion.

Noyé : La démocratie, c’est le cafouillage.

Joan : Ce n’est pas possible. Pourquoi ce serait ça ?
Noyé : Pourquoi ce ne serait pas ça ! Au début du Banquet, il y a des plats renversés.

Ariel : Je m’en fous de ce qu’est la démocratie. Le cafouillage moi je n’en veux pas. Les autres jours, j’étais dans quelque chose et aujourd’hui, j’ai beau faire des efforts, il n’y a plus rien. On est dans la merde.

Joan : Non ! Je crois qu’on est dans le vif du sujet.

Noyé : Le cafouillage, ce n’est pas de la merde. Je ne suis ni pour ni contre. On voulait la vie et voilà, on l’a. Elle fait voir son invention, sa souveraineté.

Brame : En ce qui concerne Yves...

Ariel : Hier, il a bafoué les règles du jeu !

Noyé : Comme Alcibiade !

Ariel : Mais dans un coin, seul à seul, il m’a félicité. Il a aussi, ce que personne n’a vu, tordu un sein à Raouf. Il nous a bien violés !

Noyé : Moi, je veux bien me faire violer par Alcibiade. Socrate qui disait « Je suis plus beau qu’Alcibiade », en rêvait. Lisez Xénophon ! Ne sommes-nous pas pour la liberté des mœurs ?

Ariel : Quand je parle, je ne le fais pas en tant qu’individu mais en tant qu’assemblée qui se constitue !

Noyé : En ces temps-là Athènes était faible et Alcibiade la bafouait.

Dynamite : Tu as raison. L’assemblée est faible.

Joan : Elle n’a pas pris le pouvoir.

Noyé : Et quand j’ai appelé à la démocratie, c’était pour appeler à dépasser cette faiblesse. Je ne voulais pas la démocratie des armes bien que je n’étais pas gai en constatant que notre démocratie était faible. Je ne regrette pas les règles de jeu que Yves a bafoué.

Ariel : Nous n’avons pas attaqué, ni résisté, nous n’avions aucune consistance.

Ornas : Pourquoi vous pleurnichez comme ça ? L’assemblée n’a pas disparu que je sache.

Noyé : Le monde futur est-ce le paradis et le bonheur tout le temps, Ariel ?

Ariel : Ah ! Non ! J’aimerais bien me bagarrer.

Noyé : La force... La force...

Ariel : Ce n’est pas hier qui m’a gêné, c’est aujourd’hui.

Noyé : La gueule de bois !

Ariel : Je ne bois pas.

Noyé : Tu as quand même la gueule de bois parce que tu as assisté à un banquet où personne n’a pu rester sobre et ceci à cause de la peur de la vérité.

Joan : Qu’avais-tu à reprocher aux règles du jeu ?

Noyé : Le manque d’investissement !


Joan : Que tu mesurais comment ?

Noyé : Avec mon pif !

Brame : Cette assemblée n’était pas si lamentable que ça. Il y avait beaucoup de non-dit, oui mais cette conférence se distingue de toutes celles qui ont existées. C’est un endroit où il peut se passer des choses tout à fait inattendues. C’était comme dans un bistrot quand on n’y comprend rien mais on n’était pas dans un bistrot.

Joan : Ici, il n’y a pas de patron.

Hilarité générale.

Brame : Absolument tout peut se produire ici. Et c’est pour ça qu’il ne se passait rien. Il y a eu enfin un événement. On a tous laissé faire Yves T., même Raouf ne voulait pas lui casser la gueule.

Noyé : C’est vrai car vu sa force pourquoi aurait-il pris en plus un pied de chaise si ce n’est pas pour qu’on le désarme ? Il y avait là du symbolique, un appel à être maîtrisé.

Raouf : Je ne sais pas. J’ai pris la première chose qui m’est tombée sous la main.

Brame : La force de l’assemblée c’est que, contrairement à ce qui se fait dans le monde, elle a refusé la police.

Joan : Pas sûr. Jean-Luc disait qu’il y a finalement peu de police dans le monde.
Brame : Ce sont les comportements qui sont policiers. « La police c’est les mœurs » est une phrase qu’a écrite Yves T. Pour moi, ça veut vraiment dire quelque chose. C’est notre mode de vie qui est policier, les idées qu’on a en tête.

Joan : Et les vrais flics...

Brame : C’est nous, c’est la vie.

Tapage.

Brame : En Iran, dès qu’il y a eu une vraie révolution, la police sociale est apparue...

Sadoc : Yves T. n’est pas Alcibiade ni la démocratie !

Brame : La démocratie c’est ce qui a donné naissance au monde dans lequel on vit donc il est évident que c’est un exemple à la limite négatif. D’un autre côté, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans le monde et c’est ça, et pas le stalinisme, qu’on doit critiquer. Si on arrive à le faire, on vivra et si on n’y arrive pas, on crèvera comme des chiens. En partant de là, moi je me suis senti plus insulté par la façon dont des gens ont réagi contre Yves T. que par Yves T.

Joan : Pourquoi ?

Brame : D’abord je n’ai pas compris ce que les gens lui reprochaient. Il y avait une hostilité, une haine contre lui que ce que lui disait et la façon dont il le disait ne justifiaient pas. Il insultait les gens à tour de rôle, sans animosité particulière, et en même temps cherchait à fraterniser. Pour moi, il n’y a pas de mystère dans son comportement. Il a été plus africain que les Africains ! Il a eu une colère, un conflit avec les Africains parce que ceux-ci ont des idées sur l’Afrique alors que lui était chaman, il était l’Afrique elle-même !

Sadoc : Là tu m’intéresse !

Raouf : Moi aussi. Je suis bien curieux de voir comment tu vas nous expliquer ça.

Brame : Toute la merde psychologique qu’on déverse sur ce type de comportement ne m’intéresse pas. Ces attitudes, peut-être critiquables, animatrices et tout ça, les soi-disant procédés qu’il emploie, il ne les maîtrise pas. Ça lui échappe. Il a eu ici une réelle pratique chamaniste. Il a fait apparaître l’esprit, l’esprit de la société, le mauvais esprit, ici, parmi nous, en nous. Evidemment, je ne justifie pas son attitude, ce n’est pas sa personne que je défends. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui s’est passé. Toutes les merdes existent, il faut les prendre à pleines mains et les travailler. Il a su reproduire la mobilité de la société africaine alors que Raouf...

Raouf (menaçant) : Tsss ! Tsss ! Tsss !

Brame : Raouf s’est comporté comme dans la société, en flic. Par là, il a eu une attitude insultante pour nous. Sadoc a mentionné le fétichisme hier, Sembene parle souvent de faire surgir l’esprit et Raouf voulait le faire fuir.

Raouf : On est après coup. Ce n’était pas dans les intentions de Yves T. de faire apparaître le mauvais esprit, il a juste sous-estimé les réactions possibles de l’assemblée.

Noyé : « Mauvais esprit » a explicitement été employé hier par Yves.

Dynamite : On peut sortir du bon du mauvais mais Yves T. le fait contre lui-même, pas contre le monde.

Yves Tenret : Il n’y a pas moi et le monde. Je suis le monde !

Dynamite : Oui, bien sûr, d’accord.

Yves Tenret : Je travaille contre cette séparation. Elle n’existe pas.

Raouf : En Afrique, quand un féticheur appelle les mauvais esprits, il paye sur sa peau. S’il a en face de lui un autre féticheur plus puissant que lui, il meurt. Je suis bien fondé donc à me considérer au moins autant africain que lui. Il a voulu du mauvais esprit, il l’a pris sur la gueule.

Franche gaieté.

Brame : La concurrence entre féticheurs ne me regarde pas. C’est le mana de cette assemblée qui t’a empêché de l’anéantir physiquement.

Sadoc : Hier Yves T. séparait la Casamance de la Mauritanie. Il y a un commerce des esclaves là-bas, je ne le nie pas mais...

Yves Tenret : Que j’aie dit ça est étrange...

Raouf : Tout ça est très séduisant mais si maintenant je décide de faire apparaître le mauvais esprit, je saute sur quelqu’un et vlan dans la gueule...

Noyé : Tu n’as pas forcément le talent chamaniste suffisant. Quand Yves est rentré moi je me suis dit : « Voilà un chaman ».

Rumeur.

Brame : Ce n’est pas lui, c’est en lui, ça le possède.

Noyé : Et ça marche !

Éclats de voix.

Raouf : Ce serait plus simple, plus juste de considérer que le gars avait un problème et que ce problème, il l’a extériorisé.

Noyé : Très bonne idée ! Si c’est comme ça, je suis pour l’extériorisation des problèmes de chacun.

Fabiola : Haaaaaaa !!!

Noyé : Vous ne vous investissez pas. J’ai fait 50 appels. Vous ne dites pas ce que vous avez dans la tête.

Protestation virulente et inarticulée de Fabiola.

Noyé : Donc il a un problème personnel, il l’extériorise, c’est très bien, on est là pour ça, ou sinon, on peut s’écrire, chacun depuis sa province.

Tom : Extérioriser ses problèmes, oui, mais les imposer aux autres ?

Raouf : Si c’est un chaman, il doit encore travailler son chamanisme.

Noyé : Il nous a violés ! Et alors ? Les gens ici, moi y compris, sont tellement coincés, qu’il faut les violer. Bravo ! Je suis d’accord avec sa méthode. Il a vidé son sac lui !

Fabiola : Haaaaaaaah !

Maniaque : Ce n’est pas vrai. Je ne lui en veux pas mais moi, il n’a fait rien d’autre que de me pomper l’air.

Dynamite : Est-ce que l’esprit a vraiment soufflé ici ? Est-ce qu’on se sent différent aujourd’hui ? Qui a été violé ? Qu’est-ce qui a changé ?

Noyé : Moi j’ai vu mais il n’y a que moi qui parle mais hier j’ai entendu des gens qui m’ont fait part de leur expérience, qui ont dit « j’ai vu ceci et j’ai vu cela », qui ont vu des choses extraordinaires se produire et moi j’avais vu les mêmes.

Dynamite : Il y a des gens qui ont vu des choses extraordinaires ? Qui ? Quoi ? J’aimerais savoir.

Véronique : Moi j’ai vu des choses ! Je ne peux pas les exprimer maintenant parce que je ne peux m’exprimer que quand je me mets en colère.

Dynamite : Mets-toi en colère alors !

Véronique : Je ne peux pas, j’en prends trop dans la gueule, j’en souffre énormément. Il faut que je me repose. Et on me prend pour quelqu’un qui se met en colère et ça, ça me bloque aussi. Mais j’ai vu, j’ai ressenti plein de choses que je ne peux pas exprimer.

Brouhaha.

Suzanne : Moi aussi, et Jean et Jacques aussi.

3 secondes de silence.

Véronique (énervée) : Vous pensez avec votre tête, moi avec ma tête et mon cul ! Je ne sais pas parler, je ne suis pas une théoricienne. J’en ai rien à foutre ! Je n’ai jamais pu lire l’Internationale situationniste. Ça m’a toujours fait chier !

Suzanne : Moi non plus, moi non plus.

Véronique : Pour moi c’est une bande de connards. Ils insultaient les gens, ça c’est bien mais leurs discours me font chier !

Dynamite : Oui mais...

Véronique (en colère) : Vous faites sans arrêt référence à l’I.S. Sembene répétait : « L’I.S. faisait ceci, cela ». (Elle hurle). Je parle avec mon cul, toute entière. Hier, c’était beau parce que j’ai vu des Palmas taper du poing sur la table, alors là, leur cul ça y allait. C’est ça que je veux !

Dynamite : Je ne vois pas la différence entre...

Véronique : Et pas forcément la liberté de se casser la gueule.

Suzanne : T’es pas toute seule !

Véronique rit.

Noyé : Staline dit que Véronique et moi appelons au secours.

Maniaque (choqué) : Staline ?

Noyé : Pas le dictateur, le nôtre, Staline Lucien !

Maniaque : Ah ! Excuse-moi.

Fou rire général.

(À suivre)

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