vendredi 5 août 2011

La Conférence de l’Institut de Préhistoire Contemporaine – Épisode 13

[*Sensue ayant fait défection, voici le dernier épisode du feuilleton de l’été directement sur le debord(el).

* Cette transcription est parue initialement sur le site de revue Sensue jusqu’à la fermeture de ce site. Il restait un épisode qui fut accueilli avec enthousiasme dans le debord(el) — qui était particulièrement hospitalier puisqu’il a hébergé aussi Yan-big balls-of fire-Ciret !]



Vous voulez être gueux ou noble ?

Qui parle de choisir ? La vie est tout sauf un jeu. Déterminisme social quand tu nous tiens...

Descriptif : Après, au resto chinois, Noyé plane et répète : on a gagné, on a gagné. Ce cher Malsain et moi-même vantons l'âpre infinité de l'échec. il ne nous écoute pas. Je porte un toast aux étudiants ! Il sourit...


Raouf (braillant) : Je suis contre le démocratisme ! Contre une communauté qui ne sait pas reconnaître ses intérêts, ses buts. Si j'ai mal au pied, on va faire un débat sur mon pied ?

Noyé : Je ne suis pas sur qu'on soit tous contre le monde et tous de la même manière.
Brouhaha. Ils haussent le ton tous les deux. Raouf, en plus, martèle la table.

Noyé (debout, sur braillant) : Cyril est mon ami. C'est un révolté et un capitaliste. Il est lui aussi contre le monde !

Raouf : Si nous sommes ici par notre libre choix, nous ne pouvons pas dire n'importe quoi.

Noyé (se rasseyant) : Mais qui dit n'importe quoi ?
Brame : Le débat est « comment et pourquoi sommes-nous contre le monde ? »

Raouf : Oui ! Parlons de ça plutôt que de continuer à tourner en rond.

Ariel : Dans le monde, on nous unit de force dans une communauté. On transforme tout en pâte molle et c'est là-dedans que nous devons chercher.

Noyé : Je n'ai pas du tout l'impression qu'on tourne en rond. J'ai plus appris en 10 jours qu'en 3 ans.

Brame : Qu'en penses-tu Maniaque ? T'es-tu instruit ?

Maniaque : J'ai rencontré des gens. C'est surtout ça. Il y a peut-être des choses intéressantes qui se sont dites. Ça m'a permis de préciser quelques petites notions mais ce n'est pas fondamental.

Brame : Moi, je me sens plus riche qu'avant.

Noyé : Je n'en attendais pas tant. J'étais très pessimiste en commençant.

Tom : Il s'est passé énormément de choses, énormément.
Dynamite : Moi je me sens plus insatisfait maintenant que je ne me sentais au début. Cent fois plus insatisfait ! Et plus ça avance, et plus insatisfait, je me sens.

Tom : J'ai beau ne pas être un activiste, je trouve qu'on a pas avancé d'un poil. On s'est enfoncé dans le mysticisme ou dans le formalisme...

Sadoc : Jean-Luc, on invite le rédacteur en chef de Véronique mais pas Paillette, pourquoi ?

Noyé : Je suis d'accord. Quand les Suisses sont arrivés, je me suis dit : « Et Paillette ? » Il était venu depuis Bordeaux rien que pour me porter une objection ! Je ne l'ai pas vu. Il a rencontré Ariel et a été très agressif...

Sadoc : Quand j'étais à Bordeaux, il t'avait écris et tu ne lui avais pas répondu.

Noyé : J'ai répondu mais j'ai fini par en avoir marre de la merde qu'il m'envoyait. J'étais absolument outré. C'est pour ne pas l'injurier que j'ai cessé de lui écrire.

Ariel : Je suis contre qu'il vienne ici. Il a prétendu venir chez moi pour discuter et il m'a insulté. S'il vient ici, je m'en vais !

Raouf : Je ne veux pas me laisser enfermer dans une dichotomie entre démocratisme et sectarisme. La démocratie, c'est l'effort d'organisation qui a été fait pour pouvoir se rencontrer et se parler. Parler de quoi ? On ne sait pas... Maintenant, aller chercher n'importe qui et transformer ce qui se passe en magma informe et espérer qu'il en sortira une réaction de fission atomique, boy, c'est une blague. L'uranium naturel, il faut le purifier pour qu'il devienne plutonium.

Noyé : On a peur des journalistes maintenant ?

Raouf : Hier, il y avait, je le vois maintenant, un côté sectaire dans ce que je disais mais l'assemblée doit bien se donner le droit d'interdire certaines pratiques et certains propos. On peut considérer que c'est de la police mais sinon comment voulez-vous fonctionner ?

Brame : Ça dépend des buts de l'assemblée. Ce n'est pas une organisation qui se propose des buts extérieurs. Qui inviter est une vraie question ? Jusqu'à présent, nous sommes tous venus par cooptation.

Ariel : Si Paillette vient, je m'en vais !

Dynamite : Il y a une technique qui est employé par les services secrets du monde entier pour tester les systèmes de sécurité. Elle consiste à envoyer des commandos de sabotage. L'assemblée ne devrait-elle pas pratiquer l'auto sabotage ? Ce serait un test, il n'y aurait pas de dégâts réels. Ce serait une opération simulacre.

Jerry : Nous ne sommes pas un service secret. Nous n'avons rien à cacher.

Dynamite : Il n'y a rien à cacher mais certains ont peur des saboteurs. Moi, je dis : « Laissons-les rentrer pour les démasquer. »

Brame : Qui va rentrer dans la cage aux lions ?

Noyé : Nous ne sommes pas à la télé. Aucun journapute n'oserait venir ici.

Ariel : Ce n'est pas vrai. Demande à Jérôme ou à Yves, les journalistes vont exprès dans certains bistrots pour se faire insulter. Après ils sont contents, vraiment, ils ont besoin de ça. Un journaliste pourrait venir ici pour en apprendre plus, pour pouvoir en raconter plus et pour pouvoir mentir plus à l'extérieur.

Noyé : Leur métier, c'est s'infiltrer, c'est vrai.

Yves Tenret : Le bouffon crache dans la main qui le nourrit. Henry Miller raconte que Frankel adorait être insulté par lui, surtout dans ses livres car cela lui apportait une sorte de célébrité... Sembene : Au Sénégal, je connaissais un mec qui se vantait d'avoir été insulté par l'Internationale situationniste. Gros brouhaha. Moi aussi ! Moi aussi !

Yves Tenret : Beaucoup de mecs ne sont restés dans l'histoire qu'à cause de ça.

Adama : Je voudrais savoir pourquoi Paillette est un con ? Pourquoi n'est-il pas lui aussi un lion ?

Brame : En dehors d'ici, de notre confinement, on remet rarement en question les rapports qu'on a avec les gens et ils ne sont pas simples, moi les gens que j'aime le plus sont aussi eux que je déteste le plus. Puis, il y a beaucoup de non-dit. Dans le monde exclure est une question de vie ou de mort. Ici, non...

Jerry : Dans le monde, il y a aussi beaucoup d'espace de confinement, l'atelier et même le bistrot et la menace d'exclusion est tout le temps présente.
Brame : Ici, c'est une sorte de concentration de toutes ces situations...

Jerry : Moi j'aimerais savoir en fait quand est-ce qu'on considère que quelqu'un est l'ennemi parce que je peux me retrouver dans beaucoup de gens. Et notamment en des cons. Personne n'est moins étranger que moi à la connerie. Donc quand on parle de cons je me sens... touché quoi, parce que je suis con !

Adama : Non ! Non ! Tu peux dire des conneries sans être forcément un con.

Brame : Effectivement, pour ce qui est des amis et des ennemis, on est dans le brouillard. Cette question se pose pour tout le monde et c'est ce qui entraîne la confusion dans les affrontements existants. Ce n'est pas tranché. J'ai l'impression que ceux que je considère comme mes ennemis et que je ne connais pas du tout, sont des abstractions. J'ai très peu d'ennemis précis, concrets, j'ai une expérience personnelle du monde très petite, très bornée. Et je considère, ça c'est un truc personnel, qu'on ne peut avoir de vrais conflits qu'entre amis.
Noyé : Le Cardinal de Retz disait : « On a souvent plus de mal avec ses amis qu'avec ses adversaires ». Il faut distinguer entre ennemi et adversaire ! On peut avoir des conflits avec des adversaires.

Brame : Dans ennemi, il y a une notion d'extermination, de destruction.

Noyé : De haine. Tom : Des gens qui poursuivent les mêmes buts peuvent-ils être adversaires ?

Brame : Mon ennemi, je veux l'anéantir. Pas mon adversaire. Au contraire, il m'aide à exister.

Noyé : A l'issue d'un conflit, il peut y avoir deux gagnants, deux vivants.

Jerry : Je suis venu ici pour pouvoir nommer ce qui m'opprime.

Brame : Dans le potlatch, mon contre don s'adresse à un adversaire.

Noyé : Le potlatch est un substitut de la guerre, une manière de se battre sans être ennemi, de remplacer le sang, la tuerie par le don. Les duels entre aristocrates européens au XVIIIe siècle s'arrêtaient au premier sang, on ne s'entrégorgeait pas comme au moyen âge. Dans les civilisations orales, les guerres s'arrêtaient au premier mort alors que quand les Zoulous ont à faire aux Hollandais, c'est la guerre à outrance, on ne compte plus les morts. C'est ça la sauvagerie.

Tom : Ce qui me gène, c'est qu'on approche deux moitiés de masse critique sans prendre de précaution. Le monde peut s'écrouler, se renverser, ça peut se produire et nous serions dans Mad Max II...

Noyé : Ce serait la barbarie, la pire des choses, la chute de l'Empire romain.

Tom : Il ne faut pas exclure cette possibilité.

Jerry : La chute de l'Empire romain fut une bonne chose.

Noyé : Les esclaves des Romains se sont libérés !

Joan : Mais comment le monde va-t-il s'effondrer ?

Adama : Les ennemis de l'assemblée sont ceux qui ne peuvent pas y venir.

Joan : Ce serait bien si cette assemblée était un lieu où tout était possible.

Sylvie : Envisageons donc la question comme celle du possible et de l'impossible. Dans un moment, il risque de ne plus y avoir personne ici.

Ornas : Mais s'il n'y a plus personne ici, quel est le problème ?

Sylvie : Il n'y aura plus que des individus. C'est ça la négativité que nous évoquons dans notre texte.

Fabiola : Tu veux dire un retour à l'individualisme ?

Sylvie : Plus que des individus...

Fabiola : Maintenant, qu'est-ce qu'ils sont ?

Sylvie : Je ne sais pas.

3 secondes de silence.

Noyé : Des individus séparés ?

Sylvie : Oui. C'est ça la négativité. Je préfère ma solitude, ma faiblesse individuelle à la faiblesse collective, à ce qui se passe ici.

Noyé : Quand Yves dit : « Pourquoi pas une secte ? Un groupe terroriste ? « Moi je pense : « Pourquoi pas une organisation féodale ? Pourquoi pas la Table ronde ? « Je ne suis pas contre les clans, je trouve ça très beau. Toutes les sociétés orales sont organisées comme ça. Retournons au clan.

Brame : Mais alors avec une double ou une triple appartenance.

Noyé : Ça, ça serait une nouveauté ! Ça n'existait pas dans les sociétés anciennes.

Fabiola : Il faut être ami et camarade, ça c'est sûr, mais ça ne doit pas être une solidarité aveugle. Ça doit être tout le temps remis en question. L'image du clan ne me plaît pas. Ça fait maffia.

Noyé : Avant mes quinze ans, j'étais royaliste, mon éducation a été faite par des hobereaux de Basse Normandie. J'appréciais beaucoup ces gens vieille France, réac, tout ça.

Fabiola : Mais il y a une hiérarchie !

Noyé : Je ne sais pas. Je fais appel à quelque chose de très fort, qui me plait beaucoup, que j'aime, que je recherche. Entre Véronique et moi, il n'y a pas de hiérarchie. Il y a cette chose forte. On a une relation clanique. Ça n'a ni solidarité obligée, ni rigidité ni rien et ça à ça de moderne que ça peut disparaître un jour.

Joan : C'est de la complicité.

Noyé : Oh ! C'est plus ! C'est violent, c'est explicite, ça n'a pas recours au mythe. Je recherche cette violence. J'en manque !

Joan : Mon patron, il est de droite et il me fait souvent penser à toi, beaucoup, beaucoup. Dans ses gestes, dans ses manières, dans ses histoires de recherche de noblesse, même physiquement.

Noyé : J'ai soif de cette violence, de ce lien.

Ornas : Un clan ne peut être transformé.

Noyé : Non ! Le clan ancien est inamovible. C'est l'exacte reproduction du même. Je fais appel à des notions anciennes, figées, traditionnelles. J'y fais appel parce que je n'ai pas d'autres notions pour l'instant. C'est du vécu. J'ai appartenu à des clans, à cette vieille France qui se retrouve dans les forêts pour des chasses à courre. On papote. Il y a cette force, cette nostalgie, cette intensité du vécu. Dans le boulot de Véronique, il y a beaucoup de nobles, des Saint-ceci, des de-Machin, il y a quelque chose qui l'enchante en eux, une largeur d'esprit...

Fabiola : Chez les nobles de naissance ?

Noyé : Oui, dans la vieille France... Donc on est parti de la remarque extrêmement triste de Sylvie, disant : « ça ne va pas, on s'ennuie ici ». Moi je ne m'ennuie pas. Je suis concentré, content. Je suis un chasseur, je suis à l'affût et le temps est sans limite. Depuis le début, comme un tigre, j'attends pour bondir. Cette tension, ce guet, je veux vivre comme ça tous les jours. En 30, 35 ans de vie active, j'ai assisté à de nombreux débats et cette fois-ci, je me suis dit : « Je ne veux pas assister encore à un de ces débats où n'apparaît pas cette chose forte que je ne trouve que chez les militaires, les parachutistes, les nazis, les hobereaux, les chouans et tout ça. » Les débats théoriques m'emmerdent.

Fabiola : Quelle chose ?

Noyé : Ce vécu ! J'ai essayé de le guetter, d'y mener, de le provoquer. S'il n'apparaît pas, je ne serais pas déçu, je serai content parce que pour une fois, j'aurai imposé mon « Je veux ça ou rien ». Dans l'Internationale situationniste, il n'est jamais rien arrivé, c'était la super misère.

Brame : Ils avaient justement une attitude clanique.

Noyé : Oui, il y avait un côté secte. L'Internationale situationniste était totalement vide, leurs relations et leurs dernières réunions étaient totalement ennuyeuses. Alors pour relancer ça, de temps en temps, ils excluaient quelqu'un. Mais c'est aussi ça que j'ai aimé dans l'Internationale situationniste, leur recherche de l'intensité. Ils n'ont jamais pu l'instituer positivement entre eux. C'est cette intensité que je veux et sans faire-valoir, sans l'extérieur.

Sadoc : Là tout à l'heure au café, j'ai parlé avec Yves T. On était seul. Je l'ai écouté. Je ne pense plus qu'il n'est pas sincère. Il est sincère.

Sembene : Je l'ai toujours dit. Moi, ce qui m'a scié, c'est qu'on n'ait pas le droit d'être susceptible dans cette assemblée. Quelle levée de boucliers dès qu'on l'est !
Ornas : On ne peut pas empêcher la susceptibilité ! Elle se manifeste soit dans la colère, soit, elle revient tout le temps avec entêtement. C'est intéressant par rapport à la communication directe. L'identité, l'idée qu'on se fait de soi-même est bafouée. Ça rejoint la question du caractère. Il y a rupture de communication. Le bafoué met en mettant en avant son caractère, fait surgir celui de l'autre et il n'y a plus que deux cuirasses qui s'affrontent.

Sembene : Ok, la communication, c'est la destruction des cuirasses. Mais ça ne va pas de soi. Dans la bouche de Yves, pas un seul moment, je ne me suis senti vexé. Et après, quand on le jugeait, j'étais plus emmerdé qu'autre chose. Ça ne me plaisait pas. Mais à d'autres moments, avec d'autres gens, je me suis senti blessé et je n'ai pas réagi à cause de considérations affectives. J'ai eu tort. Je pensais : »La femme de Jean-Luc ne peut pas dire ça ». Cela m'a fait mal et j'ai bouffé ma merde, c'est tout.
Adama : A mon avis, on ne pourra pas résoudre le problème si on le considère comme le problème du racisme en tant que tel. Il faut d'abord avancer sur 1, 2, 3 points importants et après...

Le dernier jour de la conférence, samedi, 13 août 1983, 19h00-19h45.

Gros brouhaha.

Noyé : On commence ? On commence ?

Sembene : Non !

Ariel : Hier, tu nous reprochais de ne pas avoir demandé ton point de vue.

Jacques : Moi, je te l'ai demandé depuis.

Sembene : Oui.

3 secondes de silence.

Maniaque : Moi, je voudrais savoir si « Ivre » T. (rires) se serait battu.

Yves Tenret : Je sors beaucoup. Je vis dehors. Je vais dans des tas d'endroits bizarres et souvent j'ai peur. Ici j'ai conjuré cette hantise. Il vaut mieux se cogner dessus que de paniquer pendant 50 ans. Et j'ajouterais une chose : je me sens très proche de ce que tu pourrais être, cette envie de fraterniser, d'être constructif et c'est consciemment que je lutte, que je combats cette tendance de moi-même.

Maniaque : Je suis dans une position qui ne me permet pas autre chose. Ce n'est pas du tout un désir de positivité, c'est...

Yves Tenret : Moi, j'ai un très fort désir de positivité, un désir viscéral. Je l'ai manifesté est la sanction a été immédiate : je me suis fait taper sur la gueule.

Joan : Comment ça ? Explique-toi !
Yves Tenret : Je l'ai déjà expliqué cent fois. Je voulais fraterniser et je me suis embarqué dans une connerie démagogique. C'est « in vino persona », dans le vin le masque ! Quand j'insultais Raouf, je m'insultais moi-même. Je me disais : « Sale con, t'es encore en train de fraterniser avec n'importe qui, avec des gens que tu ne connais pas ». Et le coup de poing qu'il m'a donné, c'est comme si je me l'étais donné parce que j'avais perdu ma lucidité et mon sens critique.

5 secondes de silence.

Ariel : Moi je suis là pour ça, pour fraterniser. Seulement de toute ma vie, je n'ai jamais fraternisé avec n'importe qui, à n'importe quel prix, ce qui fait que je n'ai jamais fraternisé du tout.

Maniaque : Pour moi, c'est un faux problème, un problème qui ne se pose pas. Je suis rentré en centre d'apprentissage, j'avais des copains, je ne me suis jamais demandé pourquoi. A l'usine, ça a été pareil. Ce n'est pas un truc métaphysique, c'est quelque chose de pratique, il y a des gens avec qui on est bien et d'autres pas.

Yves Tenret : Ce n'est pas vrai. Déjà avec tes frères et tes sœurs, tu avais des préférences.

Maniaque : Ouais, bien sûr, ouais, ouais !

Yves Tenret : Ça venait, ça disparaissait, ça bougeait, ce n'est pas métaphysique et ça n'allait pas de soi.

Ariel : Moi, j'ai un frère. J'ai toujours voulu fraterniser avec lui. Ça n'a jamais été possible.

Noyé : En effet !

Rires.

Staline : Moi, je veux bien fraterniser mais je ne veux pas m'attendrir.

2 secondes de silence.

Auguste : Ariel, quand tu dis que tu n'es pas content, j'ai l'impression que tu es content de ne pas être content. Moi, je suis un pauvre et quand je ne suis pas content, cela s'exprime autrement.

Ariel : Tu penses que je tiens un double langage ?

Auguste : Non mais on est là à se trouver tous insatisfaits à rester tranquillement assis autour d'une table. On pourrait être plus offensif !

Ariel : Pour moi, c'est douloureux ce moment. Ça me rend impuissant...

13 secondes de silence.

Jerry : Je crois que cette salle a pesé lourdement sur notre conférence. Véronique a crié qu'elle ne l'aimait pas. On n'a pas su la transformer. Chaque fois, il fallait sortir pour manger. Il était interdit de fumer, ce qui était aussi un moyen pour certains d'échapper à ce qui se passait. Sans ça, des contradictions auraient peut-être été approfondies plus vite.

Staline : Je sens très fortement ça. Les lieux ne sont jamais innocents. Il y a une relation entre les lieux et ce qui s'y passe. Tout à l'heure, on plaisantait avec Maniaque, on se disait : « Si ça se trouve, il y a ici en dessous des ossements de communards et on est là-dessus et on respire des trucs ». C'est Shining ! On est au mois d'août et il ne se passe rien dehors. Si on était en 1917, n'importe quel endroit conviendrait. Il ne passe rien dehors et rien dedans ! Etre détaché des trucs matériels, ce n'est pas bon. Ne pas être obligé de faire à bouffer, de mettre les tables, de balayer, ce n'est pas bon.

Jerry : On est opprimé dans le monde dans lequel on vit et on se retrouve ici dans une petite cave avec un escalier difficile. C'est un espace précaire pour un temps précaire. Tous les soirs, on doit chercher un endroit pour essayer d'être ensemble pour manger. Ensuite, pour dormir, on s'éparpille à nouveau...

Ariel : On est tellement habitué à être vaincu qu'on n'envisage pas les choses aussi fortement qu'on le devrait.

Ornas : Ce lieu n'est pas plus mal qu'un autre. On n'a pas forcément les moyens d'être ailleurs...

Jerry : Sinon, on serait ailleurs mais je crois que c'est une honte et qu'elle mérite d'être soulignée.

Yves Tenret : Beaucoup de vous m'ont posé avec des airs de flic la même question : pourquoi t'es là ? Je suis ici parce que je cherche des gens qui n'ont pas l'esprit de sacrifice ! Quand j'ai flashé en 1971 sur l'Internationale situationniste, c'est pour ça. Ils ne partaient pas vaincus, victimes et ils n'étaient pas méritants ni embrigadés dans je ne sais quoi. Ce n'était pas des pauvres mythifiant la pauvreté, cette saleté, des pauvres voulant rester pauvres. Ils n'avaient ni bonne foi ni bonne volonté. Qu'est-ce qui est vaincu d'avance dans vos têtes ?
Staline : Ce qui est vaincu, c'est le désir.

Clameur indignée !

Paolo : Mes couilles !

Staline : Avec vous, je n'ai pas le désir de parler et pas non plus le désir d'être exclu de la conversation. Je ne me sens pas naturel. On organise tout puis à cause de l'organisation, tu ne peux plus vivre.

Ariel : Ce qui se passe est largement supérieur à ce qui avait été envisagé. Vous avez bouffé du pain et du pâté, vous en avez marre, vous voulez bouffer mieux, faites mieux, putain !
Staline : D'accord, mais on ne va pas parler comme des militants.

Ariel : Mais je ne parle pas comme un militant !

Brouhaha. Rires.

Staline : L'erreur, c'est Paris. Je te l'ai dit, tu m'as répondu : » Les contacts étrangers veulent voir Paris ». S'ils veulent faire du tourisme, qu'ils en fassent...

Ariel : Ce n'est pas ça l'argument. On avait de la place, ça ne coûtait rien, voilà, c'est tout.

Staline : Le lieu, c'est important. Il y a plein de gens ici qui n'ont pas assez dormi, qui sont fatigués, crevés, qui n'ont pas récupéré. Si on vit comme des cons, c'est un peu notre faute.

Ariel : T'as des mecs qui ont plein de fric qui se font des colloques à Cerisy dans des locaux magnifiques...

Staline : C'est surtout pour pouvoir continuer à discuter jusqu'à dix heures du matin, toute la nuit s'il le faut, si tu n'as pas envie, tu t'en va, si tu veux rester, tu restes. C'est là-dessus que je discute. C'est comme deux amants qui font l'amour. Leurs corps suppriment le monde qu'il y a entre eux. On n'a jamais le temps de se rencontrer, on se balade chacun sur son fil et de temps en temps, ça fait : Wouh ! Tilt ! Thou ! Et t'as une partie gratuite. Puis ça recommence, bars dessus, bras dessous.

Ariel : Cette conférence a été conçue pour et par des pauvres, c'est tout...

Énorme brouhaha.

Véronique : Staline ! Ce n'est pas lié aux conditions matérielles ni au manque de sommeil, c'est lié à l'envie. Si tu as envie, tu peux discuter des heures, des journées, n'importe où.

Ricanements ! Brouhaha !

Ariel : Pour demain, je propose la place de la Concorde.

Yves Tenret : Je viens !

Adama : La conférence pour laquelle on a été convoqué n'a pas eu lieu. Il y a eu une assemblée, c'est tout. Maintenant, nous allons pouvoir entamer une correspondance pour savoir si nous voulons faire une conférence. Il faudra définir préalablement de quoi on va discuter.

Noyé : Cyril nous invite tous à manger une poule au pot Henri IV demain.

Véronique : Ahhhhhhhhhhhh !

Jerry : Jean-Luc, pourquoi Ken Knabb n'est pas ici ?

Noyé : Parce qu'on ne l'a pas invité. Quand Yves T. a pénétré dans cette cave, j'ai pensé à lui. Contrairement à Yves qui ne l'est pas du tout, Ken est insupportablement chiant ! (Rires). Mais il y a chez lui depuis 15 ans une obstination incroyable et rien qu'à ce titre, cela aurait été intéressant.

Dynamite : Knabb ne serait pas resté 5 minutes dans cette conférence...

Joan : Knabb est quelqu'un de très méprisant.

Jacques : Tout à fait.

Joan : Il a toujours beaucoup de préjugés à l'encontre de ses interlocuteurs.

Ariel : Il y a quand même eu avec lui des trucs vachement durs sur lesquels on ne pouvait plus être d'accord du tout. Pour lui, à partir de n'importe quelle phrase de Debord, on pouvait faire un tract et ça, avec les livres de Noyé, c'était impossible, donc Noyé était sans intérêt...


P.-S.
This is the end...


P.-P.-S.
Pas tout à fait. Ce dernier épisode sera suivi d’un commentaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire