vendredi 5 août 2011

L’Orpailleur : Fragments – Épisode 11

15.

Il arrive que l’on se réveille avec l’impression nette d’avoir été sur le point de résoudre en rêve une énigme vitale ; mais déjà la lumière blanche du sommeil paradoxale a vacillé et elle disparaît dans la nuit qui s’achève. Un bref instant, on croit encore pouvoir ressaisir l’image révélée du mystère ; mais il est trop tard : il a suffi d’un geste pour qu’elle s’efface sans retour, comme sur le miroir devenu opaque d’une eau qui s’est troublée.

Gilles avait ce même sentiment d’être à la fois proche — terriblement près — et lointain — si désespérément éloigné — de toute solution acceptable à l’équation complexe de son existence. Ainsi marchait-il toujours sur le fil du rasoir, à la merci de la moindre défaillance qui viendrait compromettre un équilibre mal assuré.

« C’est naître qu’il aurait pas fallu. » Il l’avait pensé un temps. Il avait insulté la vie (8). Il lui avait craché au visage. Il avait crié : Viva la muerte ! La vie s’était écartée en silence ; et la mort lui avait ri au nez. Ce rire, il ne l’avait pas oublié. Il lui était resté en travers de la gorge, prêt à l’étouffer le moment venu. Il savait à quoi s’en tenir.

Il avait appris. La vie est une entreprise désespérée. Il ne voulait plus être dupe des faux-semblants. Le monde était frappé d’un mal étrange. Le soleil, au lieu de répandre une lumière bénéfique sur toutes choses, par un processus contraire, vampirisaient la multitude des êtres, les forçant à exprimer leur énergie en pure perte ; puis il les abandonnait, épuisés. C’était joué d’avance. « ...et pour finir, le Diable rafle tout, dés, joueurs et tapis vert. »

La voix furieuse le poursuivait dans Prinz Hendrik Kade, comme un reproche obstiné. Mais Gilles avait beau se creuser la tête, il ne trouvait rien qu’une place vide dans sa mémoire : un trou. Une faute avait été commise qui était oubliée.


8. Ce qu’il faut  considérer, c’est le processus du vivant dans son ensemble : le mouvement même de la vie. La vie brûle de se répandre et les êtres sont consumés. La vie ne veut en arriver qu’à elle-même : la mort n’est que le passage de la vie. Il n’empêche : individuellement, la vie est une entreprise désespérée.

(À suivre)

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