mercredi 3 août 2011

L’Orpailleur : Fragments – Épisode 8

12.

Gilles marchait sur l’eau. La ville entière reposait sur l’eau, paradoxe de pierre soutenu par une forêt, plantée dans le sable, noyée dans l’eau.

On ne bâtit jamais que sur le sable. Tout ce qui dure et paraît si solide ; les rêves d’un soir, les châteaux éphémères dont on sait que les heures sont comptées. Rien ne tient bon.

Gilles marchait le long de Prinsengracht. Que cherchait-il dans cette ville ? Peut-être simplement un endroit où se poser, un lieu tangible, substantiel, qu’il ne trouvait nulle part. Tout s’écroule.

Il allait en enfant perdu, espérant, désespérant ; le désespoir et la révolte mêlés en un inextricable nœud de serpents. Il allait ; il n’allait plus : lorsque de guerre lasse la vie défaite se replie en tremblant dans les profondeurs de la matière, il ne reste plus que l’immobilité des pierres sur une terre glacée qui attend la débâcle (5).

Gilles sortait à peine de l’hiver, les sens engourdis et la mémoire étale où surnageaient épars les débris d’un ancien naufrage.


5. L’attitude négative par rapport à la vie, n’est pas négation de la vie. C’est la négation de toutes les illusions successives — l’une remplaçant l’autre —, ou simultanées — l’une étayant l’autre — sur la vie ; c’est la négation d’une vie qui a besoin d’illusion pour se soutenir. C’est un travail de sape qui mine inexorablement l’édifice d’illusions sur lequel elle repose, sans garantie aucune pour la suite. Comment vivre en ruinant toute raison de vivre ? C’est le paradoxe qu’il faut résoudre sous peine de mort — autour duquel je tourne comme un oiseau fasciné, prisonnier d’une circularité qu’il ne peut briser. La seule chance d’en sortir est de pouvoir s’allier au temps : de durer ; prendre du champ. Inscrit dans la perspective — mis à distance — le problème irrésolu cesse du moins d’obnubiler ; s’il reste la référence obligée — le point de fuite qui organise la perspective —, une certaine liberté de mouvement devient possible. Mais qui peut se satisfaire durablement de la liberté surveillée d’une prison ? Un condamné à mort moins que personne, si elle lui donne le goût de vivre.

(À suivre)


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