mardi 20 septembre 2011

L’envers de l’histoire contemporaine

Encore quelques citations complémentaires sur « L’envers de l’histoire contemporaine » en Italie.

Propaganda Due, plus connu sous le sigle P2 [Potere Due chez Debord], était une loge privée (« couverte ») de la franc-maçonnerie italienne, devenue notoire pour ses liens avec les personnalités du monde politique, du monde du renseignement et de la Mafia et son rôle supposé dans un complexe réseau d’affaires crapuleuses (blanchiment d’argent, détournement de fond, appui aux régimes de droite, atrocités faussement attribuées aux terroristes, assassinats dont celui d’un premier ministe et d’un pape). / La P2 avait été fondée en 1877 par le Grand maître des francs-maçons d’Italie en tant que loge privée pour les membres du parlement désirant passer outre le ban mis par l’Église catholique sur la franc-maçonnerie sans péricliter leur réputation. Le gouvernement fasciste de Mussolini avait déclaré la franc-maçonnerie hors la loi et avait supprimé la P2. Réactivée en 1946, le fasciste italien Lucio Gelli s’en était emparé dans les années 1960. Sous sa direction, la P2 est devenue le genre de société secrète sur laquelle fantasment les théoriciens de la conspiration — groupe super-secret, corrompu, d’élites de droite haut placées, dont hommes d’affaire, dirigeants des médias, politiciens, ecclésiastiques, militaires, agents des services secrets et mafiosi. / Faisant appel en cas de besoin à des contacts de haut niveau dans les services de renseignements italiens et étrangers, au chantage même, si nécessaire, Gelli s’était servi de la P2 pour avancer son programme fasciste, farouchement anticommuniste, soutenir les dictatures de droite d’Amérique latine, forger des alliance outrageuses entre fonctionnaires corrompus du vatican et la Mafia et surtout devenir très riche. Gelli et la P2 ont été impliqués dans la fuite des nazis d’Europe, les opérations clandestines visant à renverser les gouvernements démocratiques en Italie et ailleurs, les opérations terroristes et les conspirations criminelles de blanchissement de l’argent maffieux de la drogue et le détournement de milliards provenant des grandes banques. La P2 a été même impliquée dans la mort du premier ministre italien Aldo Moro, du pape Jean-Paul I et de Roberto Calvi. Bien que la liste de ses membres ai été découverte dans la villa de Gelli lors d’une perquisition en 1981 et la loge dissoute, celui-ci a donné du fil à retordre aux autorités pendant les 17 années suivantes avant d’être traduit en justice.

[…]

Dans les quelques années d’après-guerre, la menace d’une invasion soviétique de l’Europe occidentale semblait très réelle […]. L’influence des partis communistes était en train de s’accroître dans beaucoup de pays. Pour l’Occident, particulièrement les États-Unis, et spécialement pour les militaires et les services de renseignements, le communisme était une menace existentielle comparable à la menace nazie qui venait d’être vaincue. Le programme anticommuniste était si important qu’il prévalait sur d’autres considérations telles que la justice et la démocratie. / Résistance immédiate. Les théoriciens de la conspiration alléguaient qu’en préparation d’une éventuelle invasion soviétique, les Alliés avaient délibérément implanté des groupes nazis et fascistes en Europe occidentale lors d’une opération au nom de code « Stay behind ». L’idée était que ces groupes anticommunistes endurcis soient activés en cas d’invasion soviétique et créent un mouvement de résistance immédiat, en plus d’être bien placés pour faire échouer tout mouvement communiste local. Ces groupes disposaient de caches d’armes, d’argent et de couverture. / Opération Gladio. Parmi les pays européens qui s’inquiétaient le plus était l’Italie, dont le parti communiste jouissait d’avancées politiques et obtenait des succès électoraux notables dans les années 1950. Alarmés, les Américains avaient apparemment activé la branche italienne de l’opération « stay behind » pour créer une organisation dans le cadre d’une opération au nom de code « Gladio » (épée) recrutant un réseau d’agents et d’agitateurs de droite, prêts à s’opposer à une prise de pouvoir communiste. / C’est là qu’intervint Lucio Gelli. Ses contacts notables dans la communauté du renseignement et chez les néo-fascistes en faisait l’homme idéal pour l’emploi. Il était soit-disant une pièce maîtresse de la mise en route de l’opération « Gladio ». Gelli avait été initié dans une loge maçonnique de Rome en 1965, puis en 1967 avait été nommé secrétaire de la loge P2. Même si selon la loi italienne toutes les loges devaient déclarer leurs membres auprès des services gouvernementaux, la P2 était une loge « couverte » (privée) dès le départ, et convenait donc parfaitement à des objectifs clandestins. Gelli s’était employé à la transformer en société secrète politique susceptible de servir la cause anticommuniste.

[…]

Gelli avait utilisé ses considérables contacts pour recruter l’élite de la société italienne et sud américaine, dont financiers, hommes d’affaires, propriétaires de médias (dont Silvio Berlusconi) […]. Lorsque les archives de la loge avaient été saisies en 1981, la liste des membres mentionnait trois membres du conseil des ministres, 43 membres du parlement italien et les chefs des services secrets italiens. […] / Seul Gelli connaissait la liste complète des membres de la P2. Outre Il Venerabile, le Vénérable, il était aussi surnommé Il Burattinaio, le marionettiste. […] / Dans le cadre de l’opération « Gladio », la P2 était supposée avoir été derrière nombre d’opérations « fausses bannières », éléments d’une « stratégie de tension » — attaques apparemment imputées aux extrémistes de gauche, visant à retourner l’opinion publique contre eux et à noircir le nom des politiciens communistes légitimement élus. La P2 est censée s’être associée à la CIA et aux services secrets italiens pour créer des agents provocateurs et fonder les Brigades rouges […]. / Un complot encore plus incroyable a été dévoilé lors de la mort du populaire cardinal Albino Luciani 33 jours seulement après son élection comme pape sous le nom de Jean-Paul I. Les théoriciens de la conspirations allèguent qu’il avait juré de mettre de l’ordre dans les finances pourries de la Curie et du Vatican en se débarrassant des membres et affiliés de la P2 — qui avaient préféré s’en débarrasser. Les suspicions avaient été attisées par l’absence d’autopsie et par les rumeurs de preuves manquantes et de documents disparus. / Le pire s’était produit le 2 août 1980 : une bombe explosait à la gare de Bologne et tuait 85 personnes. La véritable histoire de ce massacre reste vague et controversée, le procès des présumés coupables traînant pendant des décennies. On pense généralement qu’un groupe terroriste néofasciste en était responsable. Cependant, un haut gradé des services de renseignements militaires italiens avait été accusé d’avoir fabriqué des preuves pour détourner l’attention de Licio Gelli. […] / Toutes ces actions faisaient partie du programme anticommuniste de la P2.

[…]

La P2 se retrouva dans un complexe réseau de délits financiers qui finit par provoquer sa chute. Deux membres importants de la P2 étaient les banquiers Michele Sindona (1920-1986), sicilien tenu pour avoir été l’un des grans financiers de la Mafia, et Roberto Calvi (1920-1982), le président du Banco Ambrosiano, la plus grande banque d’Italie. Avec l’aide de Lucio Gelli, ces hommes et les institutions avec lesquelles ils travaillaient avaient participé à toutes sortes d’irrégularité financières à grande échelle, dont la « disparition » de centaines de millions de dollars de fonds, volés entre autre au Vatican. / Les scandales bancaires de la fin des années 1970 ont incité les autorités à enquêter sur Sindona et Calvi. […] les deux hommes ont fini par être traduits en justice. Sindona avait été condamné à une peine de 25 ans, mais était mort en prison, affirmant avoir été empoisonné. Calvi avait été condamné à 4 ans de prison en 1981, mais libéré en attendant un appel. / […] Les enquêtes avaient conduit les autorités à la villa de Gelli, où elles avaient découvert une liste des membres de la P2 qui a choqué le pays. La liste contenait plus de 900 noms et des indices quant à l’existence d’un millier d’autres. […] / L’histoire était toutefois loin d’être finie. En 1982, on a découvert dans les comptes du Banco Ambrosiano un « trou » de 1,287 milliard de dollars, provoquant peu après sa faillite. Roberto Calvi, tenu généralement pour avoir floué la Mafia en plus de s’être engagé dans une fraude financière à grande échelle, s’était réfugié à Londres. Le 18 juin, il avait été découvert pendu sous le Blackfriars Bridge avec des briques dans ses poches. Le même matin, sa secrétaire de longue date avait « sauté » par la fenêtre de son bureau. […] / Recherché dans le cadre de ces scandales et crimes, Gelli s’était enfui en Suisse […]. S’évadant de la prison Suisse, il s’était réfugié en Amérique du Sud, puis s’était livré aux autorités en 1987. [Il est extradé en Italie où il n’a été condamné qu’en 1998 à 12 ans pour l’affaire Ambrosiano.] Alors qu’il avait été assigné à résidence dans sa villa, il avait réussi une fois de plus à s’enfuir. / Six mois plus tard, il a été arrêté dans un appartement de Cannes. Conduit à l’hôpital après une légère attaque, on dit qu’il aurait tenté de se suicider. En octobre 1998, il a été reconduit en prison en Italie. On ne sait pas avec certitude s’il purge encore sa peine. / […] En 2008, Gelli a provoqué l’indignation en apparaissant dans une série documentaire de la télévision italienne pour défendre sa vie et son œuvre, déclarant lors d’une conférence de presse : « Je mourrai fasciste. » Il avait également rendu hommage à Silvio Berlusconi, actuel premier ministre de l’Italie, membre à part entière de la P2 […]. Comme préconisé par le plan de la P2, Berlusconi a réussi à réunir la plupart des médias italiens sous son contrôle direct ou indirect. […]

Joel Levy, La Bible des Sociétés Secrètes, Guy Trédaniel Éditeur.

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