dimanche 29 janvier 2012

Le Maître du Bas Château — Portrait de Jean-Pierre Voyer / 5

5. Voyer / Debord : premier accroc sans frais

C’est à ce moment-là que va se produire un premier incident qui va quelque peu obscurcir « l’idylle » jusque là sans nuage entre Voyer et Debord. Le 9 août 1972, Debord écrit à Voyer : « Raspaud qui s’était trouvé chargé par toi de me tenir au courant de tes contacts avec Rassam, entrepris sur l’initiative de Lebovici pour le tournage du Spectacle vient de me révéler hier un nouvel aspect de tes activité que je ne peux certainement pas laisser passer. […] / Lorsque, Raspaud et toi, vous avez conversé avec Rassam voici, je crois, un mois ou six semaines, ce personnage vous avait émis, en des termes désagréables, la prétention de me rencontrer. Ce pauvre Rassam, même s’il lui arrive d’avoir parfois un peu d’argent entre deux échecs godardistes ou la revente d’un stock de tapis du Maroc rachetés aux douanes, ne peut certainement pas croire qu’il pourrait acheter le droit de me fréquenter. Et quand à l’aspect professionnel de la question, on voit mal à quel titre tu aurais été payé par un important pourcentage sur les bénéfices de mon film, si ce n’était pas justement pour m’éviter le désagrément de rencontrer moi-même des individus de ce genre. […]. / J’ai appris hier un fait plus impardonnable, et que tu n’avais avoué à Raspaud qu’après plusieurs semaines. Quand, quelques temps après la rencontre évoquée ci-dessus, le même Rassam a fixé à Raspaud et toi un rendez-vous dans un café, auquel il vous fit attendre vingt minutes sans venir, tu étais allé le rechercher ensuite à son secrétariat. À ce moment-là, tu as sciemment laissé croire à celui qui essayait de joindre Rassam par téléphone que je pourrais être moi aussi là, dans le même café, à attendre ce con. / Si quelques-uns des interchangeables Rassam ont encore à apprendre qui je peux être, il est à présent bien clair qu’ils ne sauraient l’apprendre par ton entremise. Et toi, qui devait le savoir et l’as malencontreusement oublié, il est évidemment impossible que tu me représentes désormais en n’importe quelle sorte d’affaire. / L’accord que nous avions sur le plan cinématographique est donc désormais caduc. » Pourtant, malgré le ton sans appel de cette lettre, Voyer, continuera à faire partie de la « famille » et à avoir ses entrées à Champ Libre ; mais ses jours sont désormais comptés.

Ainsi, le 14 décembre 1974, Debord encourage-t-il Lebovici, malgré quelques restrictions, à publier l’Introduction à la science de la publicité de Voyer : « Le manuscrit de Voyer n’incitera pas beaucoup de gens à entreprendre une critique théorique, et ce n’est probablement pas ce qu’il vise : je crois que l’auteur, conséquent avec ses formulations personnelles, a estimé l’apparence de la théorie plus essentielle que quelque théorie proprement dite. / Il y a cependant une indéniable qualité « artistique » dans une telle profusion de collages de ce style, sur un tel sujet, autour de l’insolent renversement de la notion de publicité (en ce sens, le titre actuel est très bon). Sans préjuger des réactions du public, je trouve dans ce discours une sorte d’humour insolite, et peut-être volontaire. Et puis, après tout, voilà un esprit original qui critique notre monde ; lequel a produit, avec tant d’autres étrangetés, ce genre d’esprits originaux. Ce n’est donc pas sans valeur historique. / […] / Enfin, tout bie,n considéré, je vous conseillerais plutôt de publier ce manuscrit — tel qu’il est —, parce qu’il serait dommage de rejeter quelque chose de si peu courant. Et aussi parce que trop de banalités ont été publiées précédemment. Guégan se dépensait sans compter pour convaincre la presse parisienne que Champ Libre n’avait rien qui puisse heurter le goût d’un journaliste, ni outrepasser son intellect. Le ton « ésotérique » initial était désavoué avec soulagement etc. Dans ce contexte, ce livre de Voyer ne serait peut-être pas actuellement inutile pour rappeler que ne ne voulons, et du reste ne pouvons, nous imposer qu’en déplaisant à ces gens-là. » Et toujours à Lebovici, à propos de l’Introduction à la science de la publicité, le 7 mars 75 : « Voyer m’a fait parvenir son livre, qui se présente très bien, et sera vraiment assez utile pour commencer à chasser les mauvaises odeurs de la période précédente. »

(À suivre)

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