mercredi 4 janvier 2012

Une lecture alchimique d’In girum imus nocte et consumimur igni / 9

9. En guise de conclusion (provisoire)

On peut considérer cette lecture alchimique du film testamentaire de Debord — qui n’est bien sûr qu’une lecture — comme une « fantaisie ». Il n’empêche : le parallèle est, me semble-t-il, par les nombreux rapprochements probants qu’il établit, assez pertinent. En premier lieu, il y a le palindrome-titre qui signe incontestablement l’œuvre : In girum imus nocte et consumimur igni. Debord prétend ne pas se souvenir de la source de ce jeu de mots*. On a été cherché chez Virgile — et ailleurs : en vain. Il me semble qu’il serait intéressant de s’intéresser à l’abondante littérature alchimique où ce genre de jeux** est fréquent. On peut se souvenir aussi que le père de Michèle Bernstein était un « libraire d'ancien réputé »*** et que Guy Debord a certainement eu l’occasion de fréquenter son fond où il a pu rencontrer ce genre de livres. Il est vrai que Debord s’est toujours défendu de quelque penchant que ce soit pour la mystique ou l’occulte. Pourtant son « frère » Ivan Chtcheglov était, quant à lui, manifestement attiré ces domaines marginaux et déconsidérés — c’est d’ailleurs l’un des motifs — fallacieux — de son exclusion de l’I.L. Debord a très bien pu être initié par celui-ci au contenu de ces « livres maudits » ; bien qu’il n’en ait jamais fait mention. Comme on le voit l’œuvre debordienne est loin d’avoir livrée tous ses secrets.

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*Il répond à Jaap Kloosterman, son traducteur néerlandais, qui lui en demandait la provenance : « J’ai perdu l’origine du palindrome-titre, si jamais je l’ai sue. Époque du baroque ? Je m’étais autrefois laissé dire que beaucoup de palindromes ont été produit au Moyen Âge, dans les monastères : la légende assure que beaucoup d’auteurs sont devenus fous avant de pouvoir conclure leur ouvrage. Mais celui-là avait réussi. » On ne, nous empêchera pas de trouver curieux les précisions qui son données par Debord sur cette « parole perdue ».


** On peut citer celui qui est fait sur le Vitriol : « Le vitriol alchimique n’est pas le vitriol ordinaire, lequel n’est qu’un acide rongeant les métaux. […] Le vitriol est tout à la fois objet, sujet, matière et esprit. Le mot est composé de la première lettre des mots : Visitae Interiorae Terrae, Rectificando et Invenies Occulata Lapidem. On en donne une variente (Compendium Hermétique) : Vitrescibili in Terra Regenerans Illud Oleum Latet Universalis Medicina (Vitriolum). Curieusement ignoré de Dom Pernety dans son Dictionnaire mytho-hermétique, le Vitriol est au cœur de l’alchimie. »

Christian Montésinos, Dictionnaire raisonné de l’alchimie et des alchimistes, Éditions de la Hutte.

Il n’est pas exact que Dom Pernety ignore le Vitriol qu’il cite dans son Dictionnaire ; mais il est vrai qu’il n’en fait pas le « cœur de l’alchimie ». Il affirme au contraire que le vitriol que les « Chimistes […] ont pris pour la matière du magistère des Philosophes » n’est que le vitriol commun ; il ajoute : « il faut avouer que rien n’était plus propre à tromper ceux qui prennent la parole des Sages à la lettre ».


*** « Michel Bernstein, libraire d'ancien réputé, homme de presse, résistant, cofondateur des éditions Edhis, est mort le 15 août près d'Auxerre, à 97 ans. Il était le père de Michèle Bernstein, qui collabora longtemps au cahier Livres de Libération. Né en 1906 à Lyon, fils d'un immigré juif russe devenu journaliste au Progrès de Lyon, Michel Bernstein fut, de 1925 à 1932, secrétaire à la délégation commerciale de l'URSS à Paris. Il démissionna et mit à profit son expérience du commerce international pour s'installer comme libraire d'ancien spécialisé dans l'économie politique et l'histoire. Membre de la SFIO, puis du PSOP, il fut exclu pour avoir dénoncé le danger hitlérien et refusé la ligne pacifiste des accords de Munich. Mobilisé en 1939, entré tôt en Résistance, il mit sur pied en février 1942 l'atelier des faux du mouvement Défense de la France. Il fabriqua près de 12 000 faux tampons, des milliers de faux papiers, des faux timbres-poste. En 1944, Michel Bernstein travailla à la direction de France soir, puis de l'hebdomadaire Noir et blanc, puis retourna à son métier de libraire spécialisé. Il eut pour clients les plus grandes universités du monde, Princeton, Harvard, Stanford, la London School of Economics, la bibliothèque Dupont de Nemours, ou John M. Keynes. Michel Bernstein fut, en 1966, avec Léon Centner, l'un des cofondateurs des éditions Edhis, connues pour leurs reprints de textes rares. »


(À suivre)

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