mercredi 1 février 2012

Le Maître du Bas Château — Portrait de Jean-Pierre Voyer / 7

7. FIN du situationnisme paisible

Gérard Lebovici est mystérieusement assassiné. Debord est atterré. Voyer, quant lui, reconnaît là l’œuvre d’une Némésis : il est vengé quoi qu’il arrive. Ce qui l’encourage à poursuivre le « pilonnage » du camp « marxo-situationniste »; et l’éreintage de Debord. Celui-ci écrit à son avocat, le 14 avril 1984, depuis Arles où il réside désormais : « […] Je vous remercie de m’avoir fait suivre le courrier adressé pour moi chez vous. Mais il s’agit d’un fou, qui se vante de la mort de Gérard comme s’il en était l’auteur. L’individu, qui nous est connu, est capable d’écrire douze lettres par semaine. Je crois qu’il serait opportun de marquer “retour à l’envoyeur” sur toute la correspondance futur en provenance de cet “Institut de préhistoire contemporaine”. » Là encore la malveillance envers Voyer est évidente. Certes, celui-ci abreuve d’injures les deux « complices » : Debord et Lebovici ; mais, en aucun cas, il ne « se vante de la mort de Gérard » — même s’il s’en réjouit : il est vrai qu’« il s’agit d’un fou ».


Debord fera tout ce qui est en son pouvoir pour « griller » Voyer auprès du « petit milieu » philo-situationniste qui gravite autour de lui ; et pour faire disparaître jusqu’au souvenir de celui-ci de l’histoire situationniste dont il fait indubitablement partie — même s’il en deviendra un renégat par la suite. Il refusera évidemment de polémiquer avec Voyer ou de se justifier sur quoi que ce soit : on ne discute pas avec un fou — et certainement pas de théorie. Et pour clore définitivement un débat qui n’aura jamais eu lieu, Voyer se verra purement et simplement assimilé aux négationnistes — ironie de l’histoire Debord se verra lui-même renvoyé aux mêmes négationnistes à destination desquels auraient été écrit les Commentaires sur la société du spectacle, selon Pierre Guillaume.


Dans une lettre du 16 décembre 90, destinée à instruire Jean-François Martos, l’une de ses dernières recrues, Debord écrit : « […] Dans le développement de ce que tu appelles très bien “la négation intégrée”, je crois que l’on peut maintenant commencer à distinguer une double fonction : d’abord démentir ou au moins désorienter toute approche d’une critique vraie (cela donc dans des milieux très minoritaires), et puis déjà rassembler des masses de mécontents réels, en émiettant toutes leurs colères (mixant très menu les plus fondées et les plus délirantes). Il me semble que là est la fonction réelle des raisonnements faurissonniens, dont Voyer fut un des inventeurs, du côté “marxologique”. […] » Affaire classé : Voyer a trouvé sa place dans le dispositif debordien ; mais il est loin d’avoir dit son dernier mot. Comme nous allons le voir.

(À suivre)

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