mercredi 8 février 2012

Le Maître du Bas Château — Portrait de Jean-Pierre Voyer / 11

11. « À quoi bon Gilles ; à quoi bon. »

Bien évidemment Debord restera sourd (et muet) face à cette mise au point ; et il mourra dans les circonstances que l’on sait sans avoir jamais daigné répondre à Voyer désormais considéré comme notable quantité d’importance nulle. Mais la vengeance est plat qui se mange froid ; et Voyer la poursuivra donc post mortem. Puisque ni les insultes ni la dénonciation de ces petits arrangements avec la vérité ne semblaient trouver d’écho, il entreprit de s’attaquer à l’édifice théorique sur lequel reposait la notoriété de Debord : La Société du spectacle ; et de l’anéantir — nonobstant la perfection revendiquée par Debord de son ouvrage qui devait défier les temps spectaculaires sans qu’il soit besoin d’y changer un seul mot.

L’entreprise de démolition commence avec une pseudo-réponse à un (mauvais) livre de Marc-Édouard Nabe (dit : le Nabot) : Rideau, qui d’entrée de jeu annonce la couleur : « Il n’y a pas de société du spectacle » ; et où Debord en prend pour son grade : « […] / Debord est un imposteur, non pas parce qu’il a tenté et qu’il n’a pas réussi mais parce qu’il s’en est satisfait. Satisfait est d’ailleurs un mot faible pour ce cas, il faudrait plutôt dire qu’il s’est pavané. Les imposteurs ne se corrigent jamais. Comme tout esclave, Debord a été sensible au spectacle de la société. Mais il voulait simplement une place dans cette société. Il l’a eu in extremis alors que ses cendres de grand buveur erraient déjà au large du Danemark portées par les ultimes effluves du Gulf Stream. Que d’eau, que d’eau ! Il aura posé jusque dans la mort comme le prouve la lettre qu’il expédia à la super connasse Cornand (je l’ai surprise dans les pages d’Actuel, en compagnie de l’homme d’État Mitterrand) : “C’est le contraire d’une maladie que l’on peut contracter par une regrettable imprudence. Il y faut au contraire la fidèle obstination de toute une vie.” M’as-tu vu dans ma jolie maladie ? Comme c’est chic. Ce n’est pas comme ces pédés qui s’enculent sans mettre de capote et qui chopent le sida. Comme c’est vulgaire. Où va se nicher la vanité ! Tabouret ici, polynévrite là. De son propre aveu Debord à passé sa vie à chasser le chic. Mais le penseur extrême (le penseur à l’élastique) doit partager les pages nécro-culturelles de Libération avec Loulou Gasté impérissable auteur de Ma cabane à Champot. Voilà le chic. […] »

Le malheur de Voyer, c’est que son entreprise de démolition est passée totalement inaperçue. Non seulement la notoriété de Debord n’en a pas été affectée malgré tous les efforts de celui-ci pour l’anéantir théoriquement ; mais, qui plus est, elle n’a jamais été aussi grande : ce n’est partout qu’admiration et louange. Jusqu’à une manière d’apothéose avec la reconnaissance par l’État français et la quasi panthéonisation du Grand Subversif. « En effet l’État français qui s’est, depuis 2009, porté acquéreur de l’ensemble des “Archives Guy Debord” — le bruit qu’on en a fait est pour nous plaire : car la gloire est un scandale — les a, de surcroît, classées au rang exceptionnel de Trésor national. », écrit Alice Debord. No comment.

Cela tient certainement au caractère excessif de Voyer : il ne voulait et ne devait rien laisser à Debord pour que sa vengeance soit complète. Il aura échoué sur ce plan là comme sur les autres : il restera cet anti-Debord malheureux parce qu’il n’a pas réussi.

(À suivre)

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