vendredi 17 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 4

4. Sollers (mal) vu par Debord


Extraits de la Correspondance de Guy Debord, volume 5 :

Lettre à Lebovici, 23 juin 77 : « C’est une merveille de voir Debray, après Deleuze dans Le Monde, pourfendre la “nouvelle philosophie”. L’inflation de la sous-pensée spectaculaire gêne les récupérateurs eux-mêmes, parce qu’elle les dépasse dans la nullité et ignominie ; et les démode (excepté Sollers, le Cocteau de notre époque, qui veut prendre aussi ce dernier train en marche). »


Extraits de la Correspondance, volume 7 :

Lettre à René Basse, 31 octobre 89 : « Moi non plus je n’aime pas Sollers, sans le connaître, heureusement. »

Lettre à Daniel Valence, 19 décembre 89 : « Merci de me signaler les sottises de Sollers. Et la tâche est lourde ! »

Lettre à Jean-Jacques Pauvert, 14 novembre 91 : « Je pense comme vous à propos de Gallimard : il est déjà bien tard. Vous devez n’avoir rien à discuter avec les subalternes : la Cremisi [Note : Teresa Cremisi, collaboratrice d’Antoine Gallimard.], ce pauvre bouffon de Sollers, etc. Il semble qu’Antoine lui-même, officiellement le responsable, en vienne à réitérer sa bévue de 1969 ; et le siècle finira sans lui donner une nouvelle occasion de récidive. […] Je n’avais même rien répondu, évidemment, de ces burlesques aux avances Mauriès, Sollers, etc. Et même avec le responsable, je ne veux discuter de rien. Or, des hésitations, interventions de collaborateurs, nuances rajoutées, seraient en fait l’équivalent de discussions. Vous pourriez conclure en disant que j’ai été choqué d’apprendre qu’un éditeur pouvait être “si bête et malheureux” qu’il se laisse conter que je pourrais fréquenter un Sollers (et pourquoi pas Mao, Castro, Gorbatchev ?).[…] / P.-S. : Pendant qu’Alice tape cette lettre, j’entends un banal débat de France-Culture, avec Sollers et d’autres du même genre. On y déplorait que les grandes valeurs de l’écriture, dont on noud fatigue les oreilles, soient tous morts : une longue liste le prouve en effet. Quelqu’un riposte savamment : “Debord” ; Sollers dit “Debord” ; un troisième le dit aussi. Là-dessus une idiote, qui se prénomme Isabelle, en convient gracieusement, et comme avec , par habitude, bien sensible aux menaces, je vous avoue que je trouve quelque chose d’un peu fatigant d’être devenu si vite un classique… mais, au moins, faites le meilleur usage de cette situation instable. »

Lettre à Annie le Brun, 5 novembre 92 : « […] Sollers ne peut faire le moindre doute pour personne, et pour moi moins, soyez-en sûre, que personne. Il paraît clair, en lisant sa risible Fête à Venise, qu’il veut insinuer qu’il a participé jadis à la Conférence de Venise : qu’il a figuré de sa personne ay nombre des mythiques “situ clandestins”. Et en plus j’ai su, par Jean-Jacques, que l’animal avait prétendu, auprès d’Antoine Gallimard, qu’il me connaissait personnellement. Il vient de redoubler de cynique audace en ma livrant un stock de lauriers dans l’Humanité. [Note : “Avez-vous lu Debord ?” Entretien d’Arnaud Spire avec Philippe Sollers, dans L’Humanité du 5 novembre 1992.] / Chaque fois qu’il plait à un de ces agents du spectacle — ou bien qu’il en reçoit l’ordre — de parler élogieusement de moi, i y a quelques malveillant robots qui vont en conclure qu’il faut donc qu’il y ait quelques connivences entre ce noble critique et moi ; tant l’époque à rendu les gens stupides, et les manipulations faciles : et c’est même dans ce seul but qu’un Sollers s’y emploie. […] Mais enfin, même si j’étais un artiste, il est sûr que je ne considérerais pas Sollers comme un autre artiste, qui serait, par exemple, trop mondain. / […] »

Lettre à Michel Bounan, 21 décembre 92 : « […] / Je t’envoie une très surprenante manifestation de cynisme, que tu ne risquerais pas de découvrir parmi tes lectures habituelles. Sollers à qui je n’ai jamais voulu répondre, a peut-être pensé qu’à la fin il m’y contraindrait en faisant mon éloge dans L’Humanité (et les staliniens sont dans une telle déroute qu’ils peuvent se prêter à son jeu). […] »

Lettre à Jean-Jacques Pauvert, 8 février 93 : « […] / Sollers laisse dire partout, et même sans rectifier quand il est présent, qu’il est mon éditeur ! Hallier dans son Idiot de janvier, vient de rappeler que c’était plutôt vous, quoique le détail doive passer pour assez négligeable à son sens ; car il me deste autant qu’il hait Sollers. Je suppose que vous avez vu le dernier bulletin avec de nouvelles imp[r]udences [Note : De la part de Philippe Sollers, qui se servait (dans le bulletin Gallimard de janvier 1993) de citations extraites des Commentaires sur la société du spectacle, à propos du “secret”, pour annoncer la sortie de son livre Le Secret.]. J’attendrais avant de juger de connaître vos conclusions. / […] »



On le voit c’était une (love) affaire qui ne se présentait pas sous les meilleurs auspices pour Philippe. Mais celui-ci était décidé à ne pas lâcher le morceau, coûte que coûte. C’est ce que nous allons voir dans un prochain épisode (qui s’annonce chaud).


(À suivre)

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