mardi 21 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 7

7. L’évangile selon Philippe

Mais, malgré tout, le fait que Sollers ait pu réaliser quelque chose d’aussi improbable que : Cette étrange guerre et ce avec la bénédiction de « la famille » a constitué pour lui une sorte de reconnaissance qui n’a pu que le conforter dans la certitude intime qu’il avait d’être à sa manière lui aussi un membre (dispersé) de cette famille — un « membre de loin », si l’on veut, qui ne serais jamais accueilli à la table commune pour partager le pain et le vin ; mais un « frère » tout de même de l’Église gnostique dont faisait secrètement partie Debord. « Le gnostique Debord » : c’est une révélation qu’à eu Sollers sans doute en lisant les Commentaires sur la société du spectacle où il a dû être frappé par la curieuse similitude qu’il pouvait y avoir entre « l’écriture voilée »* revendiquée par Debord et celle l’Évangile selon Philippe, qu’il aime à citer depuis, non sans malice, comme une preuve (elle aussi voilée) de sa perspicacité et comme un indice pour les happy few de son appartenance à ladite Église. Amen.

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* Jean-Marc Mandosio, quant à lui, parle de « dispersion de la science » en référence aux écrits alchimiques. Mais, en l’occurrence, il semble bien que ce soit Philippe qui ait vu juste en parlant de gnosticisme à propos du Debord des Commentaires. En effet, dans la Notice à l’Évangile selon Philippe, Louis Painchaud écrit : « Le caractère allusif de l’enseignement contenu dans l’écrit avait sans doute une fonction précise, celle d’exiger  de ses destinataires un travail d’interprétation afin d’en découvrir le sens caché. À cet égard c’est aux Stromates de Clément d’Alexandrie qu’il faut le comparer […]. En effet, dans les Stromates Clément pratique une écriture voilée, destinée à n’être comprise que par ceux qui en sont dignes. […] Ainsi, le programme annoncé par Clément d’Alexandrie au début de ses Stromates pourrait tout aussi bien s’appliquer à l’Évangile selon Philippe : “Il y a aussi des choses que mon livre n’indiquera que par allusion ; il insistera sur les unes, il mentionnera seulement les autres, il tâchera de parler sans avoir l’air, de montrer sous le voile, de signifier sans mot dire.” […] » (Écrits gnostiques, Pléiade) Étonnant, non ? Le lecteur comparera avec le début des Commentaires de Debord.


(À suivre)

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