vendredi 24 février 2012

Sollers / Debord : Histoire d’une idylle contrariée / 9

9. La Fête à Venise, spicilège

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Qui êtes vous dans la nouvelle réalité ? Une apparence. Qui étiez-vous avant de naître ? Une inapparence. Qui serez-vous une fois gommé ? Une désapparence. On ne disparaît plus, on désapparaît.
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Mais, comme dans la désapparence réglée d’aujourd’hui, personne ne meurt plus ni ne vit plus réellement (ce serait contrarier la rotation financière), allez donc demander dans l’Entreprise si quelqu’un est irremplaçable. L’Entreprise […] possède, directement ou indirectement, les chaînes de télévisions, les maisons d’édition, les journaux, les radios. Ça tourne. Fin de l’histoire.
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Ah oui, mon nom de guerre... Mon pseudo de fax… Eh bien, Froissart. Comme le chroniqueur médiéval, en changeant simplement Jean en Pierre.
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À l’heure des réseaux et des satellites, il n’ya plus que des réseaux et des satellites, le parasitage règne, le bruit est multiplié par mille de l’intérieur. Plus rien n’est vraiment dit ou entendu, mais tout se répète, s’écoute. Pas de pensée, mais pullulement de signaux, écume d’écume, réduction maniaque et raidie. Comme toujours, il y a des surveillants et des surveillés, mais les surveillés sont devenus surveillants, pourquoi, comment, ils ont leur raisons, excellentes.
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Le cadre, image de l’esclave volontaire moderne, est donc devant la caverne aux trésors. Cadre il est, cadre il est à remplir. Il peut d’abord être défini comme celui qui, le plus souvent d’origine modeste, ne demande qu’à faire la confusion entre original et reproduction. C’est son identité même.
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Un moraliste de la fin du vingtième siècle (siècle dans son ensemble abominable, on s’en souvient peut-être) qui a été, sans nul doute, un des seuls vrais révolutionnaires de son époque, commence un livre ainsi, non sans hauteur : / « Toute ma vie, je n’ai vu que des temps troublés, d’extrêmes déchirements dans la société, et d’immenses destructions ; j’ai pris part à ces troubles. De telles circonstances suffiraient sans doute à empêcher le plus transparent de mes actes ou de mes raisonnements d’être jamais approuvé universellement. Mais en outre plusieurs d’entre eux, je le crois bien, peuvent avoir été mal compris. » / Cela me donne envie de commencer plus modestement des Mémoires par : / « Toute ma vie, j’ai vu des temps heureux sauvés comme par enchantement du néant, des ententes et des complicités inouïes, d’intenses reconstructions ; j’ai pris part à ces fêtes. Une telle étrangeté implique que le plus obscur de mes actes ou de mes raisonnements sera toujours universellement compris. Et en outre, plusieurs d’entre eux, j’en suis certain, ont été très bien compris, spécialement par ceux qui s’y sont opposé de toute leurs forces. »
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Le vrai… Le faux… Le vrai-faux ou le faux-vrai… Tango-valse… Supposez que vous organisiez un attentat terroriste d’État. Lequel ? Circonstances. Il y aura alors un raffinement particulier à vous faire dénoncer par une partie de vous-même, mais de telle façon que cette dénonciation apparaisse comme absurde ou fausse. Vrai-faux-vrai en passant, presque pour le plaisir. Qu’est-ce que la vérité ? a dit une fois quelqu’un à quelqu’un d’autre qui, paraît-il, a cru préférable, à ce moment-là, de se taire. Vrai-vrai-faux… Faux-faux-vrai… la liste peut s’allonger indéfiniment, elle établit d’elle-même la hiérarchie initiatique de ceux qui peuvent la comprendre, elle tend vers une belle expression juridique : non-lieu. Rien n’aura lieu que le milieu du non-lieu.
[…]
Pour que les esclaves modernes acceptent et même revendiquent, leur conditions, il faut les droguer d’images et de racontars en permanence, et qu’ils n’aient pas la plus petite distance, le moindre recul par rapport à leur propre situation. Sauf pour s’effrayer d’être à ce point gratuits et serviles, d’où soumission renouvelée et renforcée d’angoisse. Ça marche ? Oui. On y est arrivé.
[…]
– En somme, vous faites du pillage à l’envers ? / – Si vous voulez. / – Ce rassemblement, ces citations, ces collages : le roman comme encyclopédie et arche de Noé ? Après vous le déluge ? / – Voilà. En clair. Les membres épars d’Osiris. Avec phallus. On transmet à l’avenir improbable. S’il y a quelqu’un, il y aura peut-être quelqu’un.
[…]

Voilà. Ceux à qui ces quelques extraits (bien choisis) auraient donné le goût d’en savoir plus sur cette histoire vénissienne pourront lire le reste (sur lequel je ne dirai rien parce que je ne l’ai pas lu).

Prochainement, nous nous attaquerons au Secret (de Polichinelle).


(À suivre)

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