samedi 2 juin 2012

Commentaires sur In girum / 4


Des nombreuses citations cinématographiques que l’on trouve dans In girum, outre les longues séquences des films de guerre, il faut remarquer particulièrement celles qui sont tirées de deux films de Marcel Carné (et Jacques Prévert) : Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis. Le premier revêt une importance particulière parce que Debord y donne à lire, sous les oripeaux de la fiction médiévale, les débuts de l’I.L. ; il y apparaît lui et sa soror mystica sous les traits de Gilles et Dominique « les émissaires du Prince de la division » — il faut noter également la séquence du jeu d’échec où le Diable, en un seul coup, fait gagner une partie qui semblait perdue : « C’est si simple les échecs ! » — ; mais le Gilles du film, c’est aussi Gilles Ivain alias Ivan Chtecheglov qui chante, enchaîné, la complainte des enfants perdus. Dans Les Enfants du paradis, Debord apparaît sous les traits de Lacenaire, « bandit lettré », un de ses doubles favoris.

Il y a un autre film de Carné, moins connu il est vrai : La Clef des songes, qui n’est jamais cité par Debord et qui est pourtant sous-jacent à toute son œuvre. Si ce film n’est jamais nommément mentionné, on peut en entendre l’écho dans un certains nombre de textes ; par exemple : « L’oubli est notre passion dominante. », dans la Déclaration sur l’expérience de la dérive (1953) ; et aussi : « Nous sommes les partisans de l’oubli. Nous oublierons le passé, le présent qui sont les nôtres. », dans Les souvenirs en dessous de tout, Notes éditoriales, I.S. n°2 ; et encore : « Ils disaient que l’oubli était leur passion dominante. Ils voulaient tout réinventer chaque jour ; se rendre maîtres et possesseurs de leur propre vie. », dans le court métrage de 1959 Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps. Toutes ces citations font référence au film en question. Sorti en 1951, La Clef des songes, qui avait beaucoup frappé les deux jeunes gens qu’étaient alors Guy Debord et Michèle Berstein, raconte l’histoire d’un prisonnier qui s’évade en rêve au pays de l’oubli, peuplé de gens qui ont perdus la mémoire et qui se fabriquent des souvenirs avec ce que racontent les voyageurs de passage ou les achètent à un marchand ambulant qui les confectionne pour eux sur mesure. Libéré, il choisira de repartir pour le village de l’oubli pour échapper à une réalité qui était pire que la prison.

On comprend quelle résonance les jeunes rebelles lettriste pouvaient percevoir dans cette histoire fantastique. Notamment dans l’idée que l’on pouvait vivre sa vie sans se soucier du passé ni du présent : en réinventant tout chaque jour ; c’est-à-dire en inventant sa propre histoire à mesure qu’on la vivait : en la fabriquant soi-même, avec des morceaux choisis.


(À suivre)

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