mercredi 27 juin 2012

En marge de : Debord à Venise / 3


Chapitre XI, Sous le signe du Lion

[…]

Croisée des chemins, croisé des destins. C’est vers Venise, promise comme l’une de ces terres dont les marins en détresse saluent l’apparition en mer, que s’en iront au carrefour des siècles (XIXe-XXe) la plupart des grands mélancoliques et « décadents » qui, fuyant l’Allemagne comme le fit en son temps Dürer, portaient aussi en eux l’empreinte indélébile de leur rencontre avec son Chevalier. Un nouvel art de la « gravure » était-il sous leur égide en train de naître, au moment même où s’effondraient de tous côtés les certitudes sur lesquelles avait reposé le monde où évolua Dürer ? Nostalgie et mélancolie, confusément mêlées, allaient devenir le burin dont on attendait qu’il puisse aussi bien éradiquer les aspérités du souvenir — les dernière adhérences affectives au « monde d’hier » (Stefan Zweig) — que « sertir » dans un nouvel airain les âmes et les cœurs, comme le dira Jünger de l’image des dieux. D’une telle ambiguïté Venise allait devenir l’incomparable alibi ; et l’on sent bien que l’on ne pourra suivre les pérégrinations vénitiennes et cosmopolites de ces nouveaux « chevaliers » à la triste figure qu’en s’éloignant avec regret de l’art de Dürer, de Nuremberg, d’Anvers ; comme si « l’androgyne Venise » (Paul Morand) était appelée à rejouer pour nous le rôle du Portique de l’Instant décrit par Nietzsche dans son Zarathoustra, sous lequel la route du futur et celle du passé intervertissent leur cours sitôt que jaillit la vision rédemptrice : « Toute vérité est courbe, le temps lui-même est cercle ».


Albrecht Dürer, Le Chevalier,

La Mort et le Diable


Offert en viatique aux générations futures, le Chevalier de Dürer ne se contentait pas d’incarner la Force intrépide capable de les guider dans « l’aventure labyrinthique la destinée » (Raoul Vaneigem*). Détenteur d’une « mesure » secrète reconquise sur le temps, il les conduirait au cœur même du labyrinthe, là « où la destinée se ramasse sans que l’on se soucie de savoir si l’on est  dans une fin ou dans un commencement, tant ces notions s’abolissent ».

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* Le Chevalier, la Dame, le Diable et la Mort, le cherche midi. Dans l’introduction à son livre, Vanegeim écrit : « J’ai placé sous le signe d’une réalité fantastique, peinte par Dürer, Grünewald et Altdorfer, mon souci de louvoyer et de faire le point avant de franchir les dernière encablures d’une navigation, promise à je ne sais quel port, où l’arrivée est un départ. » Quant à son « frère » Debord, s’il n’y a pas référence à Dürer dans In girum, on notera qu’il place « Le dernier autoportrait de Rembrandt » à la fin d’une séquence où l’on voit successivement des photos de lui à différents âges de sa vie.


(À suivre)



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