jeudi 14 juin 2012

Pour en finir avec l’économie – À propos de : « Sortir de l’économie ? » / 3


Les citations qui suivent sont toutes tirées du chapitre : Correspondance avec le MAUSS d’Hécatombe de Jean-Pierre Voyer, Éditions La Nuit.

D’entrée de jeu Voyer, qui a sollicité Alain Caillé par courrier, répond à la lettre de celui-ci en mettant les points sur les i : « Je ne prétends pas que l’économie est d’essence religieuse. Je prétends tout simplement qu’elle n’existe pas. » ; il termine en précisant : « Je dois encore signaler que je préfère des universitaires sérieux dans leur spécialité à la nullité prétentieuse et impuissante de membres de mon parti qui se bornent à psalmodier des incantations. » —  c’est Debord qui est visé au premier chef. Dans la lettre suivante Voyer poursuit « l’instruction » de Caillé : « J’affirme que la logique marchande a le même principe (la communication) que la logique des sauvages et aussi le même but (la richesse, la divinité). / Je ne vois pas quel risque il y aurait de dissoudre la spécificité de la société moderne (marchande) dans la généralité anthropologique. Au contraire, que je sache, aucune société sauvage ou même antique n’est marchande. Tous éminents marchands qu’aient été les Athéniens, leur cité État n’en était pas pour autant marchande. Affirmer donc que la logique marchande est la réalité de notre monde, c’est affirmer avec Marx, la spécificité de ce monde. » ; et dans celle qui suit : « Aucun monde n’est plus intensément magique, fantastique que celui de la marchandise, aucun monde n’est plus préoccupé de la communication. Ce monde est fétichiste. Ce monde est donc africain. »

Dans ses Remarques sur le Bulletin du MAUSS n°3, Voyer écrit : « Serge Latouche n’ose pas dire que l’économie n’existe pas du tout. Il se contente de nier son autonomie (ce qui est déjà un crime, il faut bien le reconnaître) et d’affirmer que c’est “l’ensemble des pratiques culturelles qui leur donnent sa signification et donc son existence sociale”. / Notre position est que le prétendu “économique” est lui-même une pratique culturelle comme une autre. » Dans sa Critique de l’article de Serge Latouche « Marchand, non-marchand », Bulletin de MAUSS n°7, Voyer se rebiffe : « Latouche ose écrire que “ce qui émerge avec l’instauration du pouvoir bourgeois, c’est l’ajournement infini de la réalisation : l’argent tient son sens qu’à ne plus être dépensé !”. On croit rêver ! Où donc se trouve l’université où enseigne Latouche ? Sur la lune, ou plus loin encore. Or la seule manière d’utiliser l’argent pour faire plus d’argent est de le dépenser comme le sait bien tout capitaliste et comme le répète Marx pendant deux mille deux cents pages. » Latouche répond : « L’économie existe-t-elle ou non ? J.-P. Voyer revient à plusieurs reprise sur l’idée que l’économie n’existe pas. Le débat aurait quelque intérêt, si je soutenais la naturalité, l’universalité ou la transhistoricité de l’économie, mais comme au contraire sur tous ces points mes critiques vont au moins aussi loin que les siennes, la querelle me paraît purement verbale. » Ce qui, évidemment, n’eut pas l’heur de plaire à Voyer qui va procéder au dézingage en règle du pauvre Latouche, qui avait certainement eut tort de s’attendre à une disputatio, et qui devant la furia voyerienne préféra rendre les armes.

Comme on le voit les positions de Caillé et Latouche (et celles de Jappe aussi bien) sont loin d’être incompatibles avec celles de Voyer ; mais le problème est que Voyer prétend produire quelque chose d’absolument inouï. Il ne peut donc absolument pas entendre quelqu’un lui dire que « [ses] critiques vont au moins aussi loin que les siennes ». Il ne veut pas dire la même chose que Louis Dumont dont il a dû lire Homo aequalis I, Genèse et épanouissement de l’idéologie économique en 1977, avant de découvrir que l’économie n’existait pas ; mais il veut bien que François Fourquet – autre MAUSS – qui dit la même chose que Dumont, dise la même chose que lui puisqu’il l’a lu après. Il est le génial l’inventeur de : « l’inexistence de l’économie » et il veut qu’on le reconnaisse comme tel ; enfin, il veut qu’on l’approuve. Ce « débat » avec le MAUSS est la première et la dernière tentative de ce genre qu’il fera.

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