lundi 25 juin 2012

Ralph Rumney – La vie d’artiste / 2


Ralph Rumney artiste rebelle et cofondateur de l’Internationale situationniste

L’artiste, écrivain et cofondateur de l’Internationale situationniste, Ralph Rumney est mort du cancer à Manosque, Provence, à l’âge de 67 ans.
Interviewé dans La Carte N’est Pas Le Territoire, une étude sur sa vie et son travail d’Alan Woods, il disait : “Je pense que le truc, autant qu’il est possible, est d’être en quelque sorte anonyme dans la société. Vous savez, en quelque sorte évanescent.” Effectivement, jusqu’à la publication l’année dernière de ce livre merveilleux, Ralph semblait presque avoir été oublié dans son propre pays, excepté par ceux d’entre nous qui ont été assez chanceux pour l’avoir connu.
En 1989, la Tate a acheté l’une de ses peintures, The Change, datant de 1957. Et il y a eu quelques rétrospectives montrant son travail dans les dernières années, plus récemment dans la ville d’Halifax où il avait habité.
Ralph a produit un vaste corpus de travaux tout au long de ces années – des abstractions informelles aux grande toiles utilisant la feuille d’or et d’argent, des moules au plâtre aux polaroïds, aux montages et aux vidéos. Mais c’est seulement maintenant que ces chose sont ré-assemblées et réévaluées. Comme il l’a dit : “Elles ont été éparpillées un peu partout. Cela correspond à un mode de vie particulier, à ses hasards et à différentes circonstances. Les choses sont vendues, les choses sont perdues. On peut presque dire aujourd’hui que je suis un artiste sans œuvre, qu’elles sont devenues accessoires.”
Les trucs évanescents de Ralph étaient célèbres, c’était la part essentielle d’une vie d’aventure permanente et d’expérimentation sans fin. Il oscillait, comme le disait son ami Guy Atkins : “entre la pénurie et une abondance presque absurde. Quelqu’un pouvait lui rendre visite dans une chambre sordide de Neal Street, dans une maison partagée avec des presque clochards. Le suivant le trouverait Au Harry’s Bar à Venise ou au vernissage de Max Ernst à Paris. Il semblait prendre la pauvreté avec plus de sérénité que les richesses.”
Seulement plus tard, et en partie à cause de sa mauvaise santé, Ralph s’est installé à Manosque, où il partageait un étage rempli de ses peintures, avec son chat, Borgia. Pour Le Consul, un autre livre d’interviews avec lui qui sera bientôt publié en Angleterre, il avait choisit comme épigramme un phrase de l’écrivain français Marcel Schwob : “Fuis les ruines et ne pleure pas parmi.”
Presque toute sa vie, Ralph fut un nomade, errant de pays en pays, parfois dans l’embarras ou parfois pas, à Londres, Paris, Milan, Venise, ou dans la petite île de Linosa, au sud de la Sicile, un des endroits qu’il préférait. “Je me suis toujours senti totalement à l’aise parmi ses 400 habitants, régulièrement coupés du monde pour de longues périodes. Certains m’ont accusé d’aimer la solitude, mais je voudrais affirmer que j’avais trouvé là, en fait, une petit société à l’échelle humaine.”
Ayant affirmé ne pas avoir cru aux avant-gardes, Ralph avait néanmoins croisé le chemin – et parfois le fer — d’à peu près chacun des mouvements radicaux artistiques et politiques  des 50 dernières années, il avait apporté sa contribution, et passé outre.
Il était né à Newcastle, et, à l’âge de deux ans, il avait déménagé à Halifax, où son père, le fils d’un mineur de charbon, était vicaire. Il avait enduré l’internat, découvert Sade et les surréalistes au début de son adolescence, refusé des places à Oxford et à l’École d’art, s’était enfui vers la bohème de Soho, et vers Paris.

Il s’est est suivi un long voyage erratique. En route*, ses compagnons de voyage comprenaient : E. P. Thompson, qui lui donna une chambre lorsqu’il avait 17 ans pour qu’il puisse échapper à ses parents, et approfondir sa compréhension du marxisme ; Stephan Themerson, un collaborateur d’Other voices, le magazine  que Ralph produisait à Londres au milieu des années 1950 ; George Bataille, avec lequel Ralph avait débattu de l’érotisme ; Yves Klein, dont Ralph avait introduit le travail dans le monde de l’art londonien, comme celui de Michaux, Fontana et d’autres ; William Burroughs ; et le philosophe et psychiatre, Félix Guattari, qui avait donné asile à Ralph dans sa clinique à l’extérieur de Paris quand il fut, de manière scandaleuse, accusé de meurtre. En 1967, la femme de Ralph, Pegeen – qu’il avait sauvée de tentatives de suicide précédentes – mit fin à ses jours par une overdose de barbituriques dans leur appartement de Paris. Sa mère, Peggy Guggenheim, qui avait toujours détesté Ralph (pour des raisons qu’il décrit, avec esprit et une surprenante absence d’amertume, dans Le Consul), entreprit une action judiciaire contre lui pour meurtre et “non-assistance à personne en danger”. Déjà bouleversé par la perte de sa femme, Ralph endura des mois de persécution avant que l’action ne soit abandonnée. Ce fut l’implication de Ralph aux côtés des situationnistes qui compta le plus pour lui, et qui a, pour partie, conduit à la redécouverte de son travail. Il existe une série de photographies de la première réunion de l’Internationale situationniste, dans le village italien de Cosio D’Arroscia en juin 1957. Tous les membres fondateurs sont là : Walter Olmo, Michèle Bernstein, Asger Jorn et, bien sûr, Guy Debord, souriant à l’appareil. Seul manque Ralph, – parce qu’il prenait les photos.
Sa propre description  de la fondation de ce que certains considèrent à présent comme le regroupement révolutionnaire le plus lucide de la seconde moitié du 20e siècle est modeste, mais suffisamment précise : “Au niveau des idées, je ne crois pas qu’on ait inventé rien qui n’existait déjà. Ensemble, on a fait une synthèse en utilisant Rimbaud, Lautréamont et quelques autres, comme Feuerbach, Hegel, Marx, les futuristes, Dada, les surréalistes. On a su combiner tout ça.”
Ralph n’est pas resté longtemps membre de l’I.S. Debord l’a exclu – “poliment, même aimablement” – moins d’une année après, l’accusant, à tort, si l’on se réfère à ce qui s’est passé, d’avoir été incapable de mener à bien un projet d’exploration psychogéographique de Venise. Mais son association avec les situationnistes ne s’arrêta pas là. Elle s’est poursuivie toute sa vie ; il est resté ami avec beaucoup d’entre eux.

Au début des années 1970, Ralph a épousé l’ancienne femme de Debord, Michèle Bernstein, et, bien qu’il en ait divorcé plus tard, ils restèrent tout deux des amis proches. Pour Ralph, elle était “la plus situationniste” d’eux tous, celle qui se battait pour empêcher le groupe de tomber dans l’idéologie ou la secte. Dans ce domaine, ils étaient en parfait accord.
Il y a quelques années, avec l’intérêt croissant du public pour les situationnistes, une pléthore de livres sur le mouvement fut publiée en France. Mais c’était Le Consul qui fut, comme le journal Libération l’écrivit : “le plus vivant, le plus passionné”. Ralph incarnait le meilleur de l’I.S., dans son intransigeance politique et sa curiosité intellectuelle, dans son sens du jeu et son esprit, et dans sa colère contre ceux qui menaient en courant ce monde à la ruine. Lui survit son fils, Sandro, un marchand d’art renommé.

 Malcolm Imrie Mars 2002

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* En français dans le texte.


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