jeudi 19 juillet 2012

Documents Post-situationnistes / 2


Je reproduits ci-après un message posté par FC sur de feu Debord(el). Il s’agit d’extraits d’un livre de souvenirs (en dessous de tout) du « menteur Guégan » qui, nonobstant, ne sont pas dénuées d’intérêts tant en ce qui concerne Debord que son alter ego Voyer.


Splendeur et misère de M. Voyer

Posted by FC on October 27, 2000 at 02:27:05 PM EDT:

Gérard Guégan, Un cavalier à la mer, éditions François Bourin, 1992.

Au printemps de 1971, Jean-Pierre Voyer, qui se présentait comme l’ "  homme d’affaire " de Debord, me rendit visite au 6 de la rue des Beaux-Arts, où Champ Libre avait réussi, dans deux pièces minuscules, à se caser. Ancien déserteur de la guerre d’Algérie, il m’avait été recommandé par Jacques Baynac, qui, après l’avoir fréquenté en Suisse, avait participé à la création de la Vieille Taupe. Exalté et souvent abrupt dans ses propos, Voyer avait été chargé d’une mission d’importance : réunir les " liquidités " nécessaires au tournage de la Société du Spectacle. Contrairement à ce que j’avais escompté, Lebovici ne s’enthousiasma pas pour le projet. Pis, il essaya de le refiler à Bizot, qui ne manquerai pas, selon lui, de sauter dessus. Mais Bizot, qu’escortaient Burnier et Rambaud, ne montra pas davantage d’emballement à la perspective de produire ce film. Et Voyer, abasourdi, dut, par ma voix, enregistrer le refus momentané de Lebovici. Il revient me voir, quelque temps après, porteur d’une autre nouvelle : Debord, mécontent du traitement que lui infligeait Buchet-Chastel, avec qui ce génie stratégique avait signé l’un des plus mauvais contrats de l’histoire de l’édition (quasiment un compte d’auteur), désirait que Champ Libre s’intéressât à son sort. [pp. 68-69]

[…]

La cruauté de Debord, j’en avais eu la preuve un matin du printemps 1973. Raphaël et moi remontions la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève lorsque nous aperçûmes devant le numéro 40, où s’était relogé Champ Libre, l’alter ego de Voyer, que l’on disait rompu aux exercices violents et qui, lorsqu’il passait chercher des exemplaires de l’Internationale Situationniste, ne nous adressait pas la parole. Nous étions à ses yeux des profiteurs qui nous engraissions sur la littérature révolutionnaire. Ce jour-là pourtant, il nous aborda sans façon, se félicitant de nous connaître, car une bande de tueurs lancée à sa poursuite cherchait à l’éliminer. Nous le fîmes pénétrer dans nos bureaux, où il nous raconta que, depuis la veille, où qu’il allât, il se devinait espionné par des individus doués de pouvoirs inimaginables, et qui communiquaient entre eux par des montres émettrices et des signaux ultra-sensoriels. Mais lui, le fidèle de Debord, avait su déjouer leurs ruses et s’était débrouillé pour les semer. Raphël tenta de le raisonner. De mon côté j’appelai Lebovici à Artmédia pour lui apprendre la nouvelle. On ne pouvait le laisser repartir, lui dis-je, car soit les flics le ramassaient et le faisaient interner, soit il se jetait sous un métro. Gérard me suggéra de téléphoner à Debord, qui habitait alors dans le Marais. Entretemps, Floriana était arrivée, ce qui n’avait pas arrangé les choses, car notre " fugitif " nous avait indiqué qu’elle n’était pas étrangère au complot, vu que ses poursuivants parlaient italien. Lorsque j’expliquai à Debord la situation, sa réponse tomba, sèche et sans appel, comme le diagnostic du psychiatre : " Le mouvement réel ne saurait être nié, il y faut de la raison, et quiconque la perd s’expose à s’en écarter et à nous devenir étranger. – Ce qui veut dire ? – Faites au mieux, mon cher Guégan, et transmettez mes amitiés à Gérard Lebovici. " Un médecin généraliste, ami de Floriana, accepta de s’occuper discrètement du malheureux, en sorte que, quinze jours plus tard, il réintégrai ce mouvement réel qui " ne saurait être nié ".

[…]

Près de seize mois avant cette matinée révélatrice, Gérard Lebovici avait fait pression sur Voyer pour que disparaisse de l’index des personnes insultées dans l’Internationale Situationniste le nom de Marie-France Pisier. L’actrice était alors la compagne de son ami Georges Kiejman, et Gérard n’envisageait pas encore de se fâcher avec celui-ci, comme il dut s’y résoudre durant l’été 1977 sous l’influence de Debord, soucieux de se débarrasser d’un avocat qui lui avait sauvé la mise lorsque Buchet-Chastel avait obtenu la saisie de notre édition de la Société du Spectacle. Après quarante-huit heures de réflexion, le temps d’obtenir du grand-chef son accord, bien que ce dernier l’eût, selon toute vraisemblance, déjà donné à Lebovici (que refuserait-on à son producteur ?), Voyer accepta de retirer de l’index la charmante Marie-France Pisier (1). Rien n’est plus plaisant que le spectacle de l’honnête homme falsifiant l’infalsifiable, et, pour nous être divertis de cette démarche, nous urions, le moment venu, à rendre gorge de notre hilarité. [pp. 284-285]

[…]

Révélateur, Gérard Lebovici le fut avec Voyer. Il lui permit de coninuer à exister alors que celui-ci ne le méritait plus, pour avoir tout dit dans son dépliant-affiche Reich, mode d’emploi, mais quand Gérard s’en rendit compte, il lui appliqua des méthodes que Voyer n’avait pas désavouées lorsqu’elles salissaient autrui.

Entre le 25 mai et le 7 septembre 1978, Voyer avait envoyé neuf lettres à Lebovici. Pour avoir dénoncé dans un tract semi-confidentiel les " putes intellectuelles " du Tout-Paris qui ne voulaient plus s’habiller chez Marx et Cie, Voyer s’était aventuré hors de ses terres, et le duo Debord-Lebovici y avait perçu une infraction à son statut de garde-chasse. D’où un avertissement et, en réponse, cette série de neuf lettres dont Lebovici ne conserva dans la Correspondance de Champ Libre que les cinq premières, dans lesquelles Voyer se couvrait de cendres. En les lisant, un lecteur mal prévenu des manipulations situationnistes ne pouvait que conclure à l’incompétence coupable de Voyer. En de telles circonstances, Iago a le choix entre mériter son innocence par des actes ultérieurs ou s’abîmer à son tour dans l’indignité. Au mal, on n’oppose que le mépris. Mais Voyer se jeta tête baissée dans la haine, où l’on perd la face plus qu’on ne la fait perdre à l’ennemi.

Dans Hécatombe, qu’il fit composer chez l’imprimeur qui tira la Correspondance de Champ Libre, à l’instar d’Adolf Hitler n’acceptant de signer l’armistice de 1940 que sur les lieux où l’Allemagne avait dû capituler en 1918, sont donc rassemblées les neuf lettres que Voyer adressa à Lebovici, plus toutes celles écrites à Debord, Kahn, Montand et tutti quanti.

" Voici un livre, avertit son auteur dans une note liminaire, qui sera peut-être jugé excessif ; c’est qu’il traite largement d’une pratique qui ne l’est pas moins et dont on parle si peu ou si mal à propos : le mensonge et la falsification. " Or, à la page suivante, Voyer commet son premier mensonge, sa première falsification : " En 1970, deux ans avant l’ultime scission de l’Internationale Situationniste, Gérard Lebovici, agent et producteur de cinéma, créait à Paris les éditions Champ Libre, perpétuant plus ou moins explicitement le style et les idées du mouvement situationniste. " Tout est faux dans ce rappel des faits. La date, le rôle de Lebovici dans la création de Champ Libre, et les buts que nous nous étions assignés. Inutile d’insiter.

Mais alors, pourquoi Voyer ment-il si effrontément ? Que souhaite-t-il effacer ? Que vise-t-il, sinon la légitimation de ses courbettes devant ceux qui le maintinrent dans sa fonction d’aboyeur ? Nous partis, il se roula en effet aux pieds de Lebovici, imitant son ami Baynac, et s’attendit, en échange, à un cadeau royal. Mais on ne lui concéda qu’un os à ronger, l’idéologisation de la publicité, par quoi il convenait, selon lui, de déchiffrer le discours dominant. Comme si Bécassine expliquait les manifestations de paysans bretons (2). N’empêche que Voyer s’en contenta. Erreur dont se souvint Debord lorque, lassé de ses maigres talents de concepteur, il confia à Lebovici le soin de le renvoyer dans son trou. Plus rusé que son " esclave " - puisque tel se définit Voyer dans Hécatombe -, le maître l’obligea à se déculotter. Sans la moindre retenue, celui-ci avoua tout ce qu’on voulait qu’il avoue et même plus. Pour un peu, il se serait accusé d’être né. Le 27 octobre 1978, Gérard Lebovici, ayant tiré le meilleur parti des lettres de Voyer, signa le bon à tirer du premier volume de la Correspondance Champ Libre. Le tour était joué : plus con que Voyer, ça n’existait pas ! [pp. 304-306]

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 1. L’anecdote est douteuse : une simple vérification dans l’index des noms cités ou insultés de l’ouvrage de Raspaud et Voyer : L’Internationale Situationniste, Protagonistes/Chronologie/Bibliographie (avec un index des noms insultés), Champ Libre, 1972, permet de constater que le nom de Marie-France Pisier (citée dans IS n° 9 p. 11) y figure bien. Guégan fait-il allusion à une autre occurrence de Marie-France Pisier qui aurait été effacée de l’index ou bien invente-t-il toute cette histoire ?

2. On reconnaît assez mal l’Introduction à la Science de la Publicité.

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