mardi 24 juillet 2012

Nietzsche dixit / 3



Ce qui me sépare le plus radicalement des métaphysiciens, c’est que je ne leur concède pas que le « moi » est ce qui pense : bien plutôt je considère le moi lui-même comme une construction de la pensée, du même ordre que la « matière », la « chose », la « substance », l’« individu », la « fin », le « nombre » ; par conséquent comme étant une fiction régulatrice, grâce à laquelle une espèce permanente de « cognoscibilité » se trouve implantée, impoétisée [Hineingedichtet] dans un monde du devnir. La croyance en la grammaire, dans le sujet et dans l’objet linguistique, dans des substantifs d’activité a jusqu’ici subjugué les métaphysiciens : j’enseigne comment abjurer cette croyance. La pensée commence à poser le moi ; mais on a cru jusqu’ici comme le « peuple » que je ne sais  quel élément de certitude immédiate se trouvait contenu dans  le « je pense » et que ce « moi » était la cause actuelle de la pensée, grâce à laquelle nous « comprenions » par analogie toutes les autres relations de causalité. Quelque habituelle et indispensable que puisse être par ailleurs cette fiction, cela ne prouve rien contre son caractère d’invention poétique : une chose peut être une nécessité vitale et être fausse malgré tout.

Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, Automne 1884 - automne 1885, Gallimard.

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