jeudi 6 septembre 2012

Debord, Muray et Sollers sont sur un bateau… / 1



Je viens de feuilleter Éloge de l’infini de l’intarissable Sollers — qui fait suite à La Guerre du goût — où il poursuit la compilation de ses essais. Mais, attention !, nous met-il en garde, « […] il ne s’agit pas d’un [vulgaire] recueil mais d’un véritable inédit, chaque texte ayant été prévu pour jouer avec les autres dans un ensemble ouvert. Dans un tel projet, encyclopédique et stratégique, les circonstances doivent se plier aux principes. D’où le titre : Éloge de l’infini. » Le lecteur est prévenu : il va devoir s’armer de patience ; il lui faudra aussi être mélomane : « Ce livre s’adresse aux musiciens de la vie. » Bien. La musique, Philippe il connaît, depuis le temps qu’il nous enchante avec sa flute. Au fil du temps, Debord est devenu son compositeur favori ; et il ne rate jamais une occasion de nous faire entendre des extraits (bien) choisis de son répertoire. Et de citer son nom : pas moins de trente occurrences dans ce (fort) volume. Alors qu’il ne cite Muray qu’une seule fois — il est vrai qu’ils étaient fâchés.* Muray se flatte pourtant d’avoir dépassé Debord. Philippe Sollers, qui en est resté à la « société du spectacle » alors que nous sommes passés à la « société hyperfestive », a donc une société de retard : ce qui est tout de même gênant pour un avant-gardiste aussi confirmé. Gageons qu’il va se dépêcher de prendre la « société festive » en marche avant qu’elle ne soit passée.

Mais revenons à Debord que Sollers met encore sérieusement à contribution dans son copieux Éloge de l’infini que j’ai pu parcourir vite fait grâce à son index (l’index est décidément un auxiliaire irremplaçable). Nous nous attacherons principalement à trois articles respectivement intitulés : Debord au cinéma, L’art extrême de Guy Debord et L’étrange vie de Guy Debord.


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* Voilà ce que Muray dit de Sollers dans ses Essais, toujours interrogé par la fidèle Elisabeth Lévy qui, évoquant « les maoïstes [qui] se sont trompés, non ? », ajoute perfidement : « Peut-être est-ce la condition nécessaire d’une pensée ? Reste à comprendre comment on passe, comme Philippe Sollers, du maoïsme au balladurisme : le fil conducteur serait-il précisément l’erreur ? » La réponse de Philippe Muray ne se fait pas attendre : « Dans le cas que vous citez, il ne s’agit nullement d’erreur, de l’erreur au sens ontologique, mais de combines plus ou moins réussies pour rester au plus près de ce qui a été identifié, à une période quelconque, comme maître du monde présent. Ça pourrait donc aussi bien être Messier que Mao. Ou Zidane. Ou Jospin. » Ce qui n’est pas mal vu.

Dans une autre interview, par Étienne de Montety, à la question : « Philippes Sollers se présente en rebelle alors qu’il risque moins la liste de proscription que celle des meilleures vente. Il dit de son livre L’Étoile des amants, que se sera un “11 septembre éditorial”. Qu’en pensez-vous ? » La réponse est sans appel : « Ce genre d’écrivain, comme aussi Angot d’ailleurs et d’autres, ne sont une question que pour les médias. Lesquels adorent les “éléments perturbateurs” rituels et les mal-pensants d’appareil, enfin les bureaucrates de la rebellitude, dont le rôle consiste à parler sans répit la langue d’une parodie de rébellion pour affirmer également sans cesse cette vérité officielle qu’ils n’existent pas en tant que bureaucrates. Ainsi mentent-ils de deux manières et sans relâche. Ces professionnels de la rébellion de confort poursuivent la guerre contre ce qui peut encore rester du passé et des anciennes conditions de vie, officiellement pour libérer les individus de leurs chaînes archaïques, mais en réalité pour les acclimater au futur inéluctable. C’est un boulot qui se poursuit dans toutes les disciplines. Eux le font sur le plan littéraire. »


(À suivre)

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