samedi 6 octobre 2012

Ivan et Guy / 5



L’état de santé d’Ivan continue de se dégrader. Malgré tout : « Depuis sa mise à l’écart, [il] n’a cessé de suivre à distance l’évolution de Debord, essentiellement à travers le bulletin Potlatch qu’il reçoit depuis le n° 1 (juin 1954). Une année après la rupture, il a croisé Debord par hasard ; celui-ci a constaté les troubles qui perturbaient le comportement de son ancien ami, mais la rencontre reste sans suite. »*

Ivan a renoué avec quelques exclus : Jean-Michel Mension, André-Franck Conord et Gaëtan Langlais. « Au fil du temps, Ivan voit la plupart de ses amis prendre leurs distances avec lui ; la maladie l’a rendu d’un abord difficile. Langlais est l’un des derniers à rester proche. Entre eux se crée une complicité forte : elle est scellée par la haine qu’ils vouent à Guy Debord. » Mais Gaëtan Langlais est loin d’être un modèle d’équilibre. « Ivan laisse entendre qu’un jour, lors d’une de ses crises, il m’a retenu d’assassiner quelqu’un, armé d’un couteau. “oui, j’ai rudement fauté en sauvant ou presque la vie de Langlais en 56… Avec un long couteau… Il était au bord du meurtre, et dans un état tel que s’il l’avait fait, il serait en service fermé pour le reste de ces jours…” » Cependant leur haine mutuelle de Debord les lie : « Ils ne lui pardonnent pas de les avoir effacés de l’histoire de l’I.L. Langlais n’a jamais dû digérer le motif de son exclusion, “sottise” ; et Chtcheglov a encore sur le cœur la façon cavalière dont Debord s’est comporté au moment de leur rupture, uniquement soucieux de régner sans partage sur le groupe. Il est surtout atterré de voir, au fil des numéros de Potlatch, bon nombre de ses idées, des thèmes et des textes qu’il avait élaborés au temps de leur compagnonnage repris sans que sa contribution soit jamais mentionnée. »

Mais bientôt, l’I.L. va disparaître pour céder la place à une organisation d’une autre envergure : l’Internationale Situationniste. Pourtant, pour qui lit le premier numéro de son luxueux bulletin la continuité est évidente. En effet, l’I.S. « réalise en partie le programme d’une nouvelle I.L. élaboré quelques année plus tôt avec Chtcheglov et Straram » ; c’est donc fort logiquement que figure, en bonne place, dans ce premier numéro d’I.S. le Formulaire pour un urbanisme nouveau d’Ivan qui constitue à la fois une reconnaissance et un appel du pied de Debord à son ancien complice. La question est de savoir pourquoi Debord éprouvait maintenant le besoin de revenir sur le passé en ressuscitant l’un de ses fantômes ? Il y avait certes la continuité évoquée précédemment ; et peut-être « [l]es échos que Debord recueillait sur le compte de son ancien ami lui laissait[-t-il] penser que le moment était propice pour une telle tentative » comme le disent Apostolidès et Donné. Ou bien Debord essayait-il de réparer tardivement les torts qu’il savait avoir vis-à-vis de Chtcheglov ? Quoi qu’il en soit, il était trop tard : « La fatigue qui écrase Ivan, l’empêche de comprendre qu’avec le premier numéro d’Internationale situationniste, Debord lui à tendu la main. La réconciliation n’aura pas lieu ; pire, cette tentative va exacerber la méfiance et l’hostilité de son ancien ami. Dans les publications situationnistes, celui-ci voit moins un hommage qu’une appropriation de ses dépouilles intellectuelles. »

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* « La dernière fois que j’ai rencontré Ivan, vers l’été 55, nous avons parlé, cordialement, des malentendus passés — qu’il attribuait à de véritables troubles psychiques, et aux problèmes qu’il avait rencontré dans sa liaison avec Hélène. Mais il paraissait abattu et changé. Comme nous n’avions guère de préoccupations communes apparentes, et comme on le découvrait tristement entouré de déchets du type Conord-Mension, prolonger ce mode de contact n’était pas souhaitable. » (Lettre de Debord à Patrick Straram, 25 août 1960, Correspondance, volume I.)

Il faut quand même noter les : « déchets du type Conord-Mension », réunis dans le même opprobre. On viendra peut-être nous dire que c’était les mœurs du milieu ; il n’empêche.


(À suivre)

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