mardi 9 octobre 2012

Ivan et Guy / 8



Ivan proposera aussi à Guy de publier une pièce de théâtre qu’il avait écrite avec d’autres patients de La Chesnais. Mais Debord n’est pas très chaud : « Réticent à l’idée de publier le texte d’À nos amours, le leader situationniste se refuse pourtant à baisser les bras ; il propose à son correspondant d’assembler quelques extraits de ses lettres pour en faire un article. Ivan accepte avec joie […]. » Ce sera les Lettres de loin dont il a été question précédemment. « Debord a aussi pensé consacrer un film à son ami : il est annoncé en 4e de couverture du livre Contre le cinéma, qui paraît en août 1964 […]. » Le Portrait d’Ivan Chtcheglov ne sera jamais réalisé — on trouve cependant dans In girum un hommage appuyé à Ivan, qui en est comme l’écho lointain.

Les relations entre Chtcheglov et les Debord vont bientôt être rompues. « Confrontés aux perpétuelles demande d’Ivan – demandes d’argent, d’attention, de sortie d’impasse… –, Guy et Michèle finissent par se lasser. Ils sentent peut-être qu’Ivan se dégrade toujours davantage et que la générosité dont ils font preuve depuis un an et demi n’a pas eu d’effet déterminant sur la santé de leur ami. Peu à peu, ils prennent leurs distances. » Debord finit par opposer « une fin de nom recevoir à une nouvelle demande d’argent tout en réaffirmant ses bonnes intentions : “Je suis absolument désargenté pour le moment. C’est l’inconvénient (fréquent) du fait de vivre à crédit […] ». Apostolidès et Donné mentionne « une lettre délirante » — de rupture — envoyée par Chtcheglov à Debord et que celui-ci « n’a pas voulu conserver » — c’est bien dommage. Les mêmes écrivent encore : « L’image d’Ivan s’estompe après 1965. Debord a rompu avec son ami, considérant qu’il s’est à tout jamais égaré “dans les forêts de la folie”. » C’est une manière assez soft de dire que Guy a abandonné son « ami » Ivan à son triste sort — comme l’image poétique des « forêts de la folie » employée par Debord recouvre une réalité plus sordide.

« Quelques documents témoignent de la lente dégradation de son état mental. […] Les fragments de récit qu’Ivan a dactylographiés montrent qu’à certains moments, il est tout à fait capable d’ordonner ses souvenirs d’adolescence et de les transcrire de façon cohérente. Mais dès que ce travail de mémoire aborde la période critique, l’aventure lettriste, ses pensées s’emballent : il saute le récit du compagnonnage avec Debord pour en venir tout de suite à l’épisode qui l’obsède, la rupture ; après quoi, plus rien. » Ivan finit même par être renvoyé de la Chesnais ; il est placé dans un hôpital à Orléans où il « séjourne » quelques années. Puis, il est transféré à l’hôpital de Maison-Blanche, en banlieue parisienne, où il « séjourne » une douzaine d’années. « Replié sur lui-même, perdu dans ses rêveries plus ou moins délirantes, il n’a plus le courage de s’informer du monde extérieur : il ne vit que dans l’autre pays […]. » Sa mère s’occupera de lui tant qu’elle le pourra. « À 60 ans, en 1993, Ivan Chtcheglov doit quitter Maison-Blanche. Il est envoyé à la maison de retraite de Bry-sur-Marne […]. »

Ivan disparaît le 21 avril 1998. « Les naufrageurs n’écrivent leur nom que sur l’eau. »

(À suivre)

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