dimanche 16 décembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 20



Eric Brun commente : « En résumé, on peut penser que Guy Debord, par sa pratique qui se veut “exemplaire” d’une vie libérée du rythme professionnel (dont découle également une disponibilité), ainsi que par sa redéfinition de la “praxis révolutionnaire”, et son message en rupture avec les institution, séduit un certain nombre d’individus politisés à l’extrême-gauche mais peu disposés a priori à se sentir à l’aise dans la pratique militante traditionnelle (avec sa discipline, sa routine, son sérieux…), privilégiant à l’inverse un rapport libre au temps, une dimension festive, et les sorties hors de la culture politique marxiste (l’utopie, l’urbanisme, le cinéma, etc.) formant alors une sorte de “communauté émotionnelle” autour du “prophète”, qui leur permet de partager le charisme de celui-ci. » Il faut noter que cette « séduction », par ce qu’elle fait miroiter, est naturellement dirigée vers le public étudiant qui peut disposer de ce « temps libre » nécessaire à la « fête » — et que, dorénavant, l’I.S. a besoin de recruter.

Il faut aussi s’arrêter sur deux traits caractéristiques de cette « pratique » pointés par Brun : le fait que Debord se veuille « exemplaire » ; et cette notion de « communauté émotionnelle ». On sait que Debord se flattait d’avoir vécu comme il avait dit qu’il fallait vivre. Est-ce à dire qu’il fallait vivre comme Debord pour faire partie de sa pratique ? (Pourtant, on n’est jamais exemplaire que pour soi-même — c’est vrai pour Debord aussi bien.) Mais dans cette « communauté des égaux » qu’était censé être l’I.S., Debord était plus égal que les autres, comme le faisait remarque justement Ralph Rumney : c’est lui qui décidait qui lui était égal (et pour combien de temps). Il était le meneur du jeu ; et c’est lui qui distribuait les cartes (et les rôles). Ses partenaires, ne l’étaient qu’aussi longtemps qu’ils acceptaient de rentrer dans son jeu.

Analysant Tout les chevaux du roi, le roman de Michèle Bernstein, Jean-Marie Apostololidès écrit des deux protagonistes, Geneviève et Gilles : « Ce sont les nouveaux maîtres ; ils entendent bien asseoir leur autorité, en imposant à leur entourage immédiat les valeurs et les comportements qu’ils jugent les meilleurs, c’est-à-dire ceux qui leur apportent le plus de satisfaction. » En transposant — toute proportion gardée — à l’I.S. le comportement de ces deux personnages de roman, on a une assez bonne idée de ce que pouvait signifier cette « exemplarité » revendiquée par Debord : comment (et pourquoi ?) « le meilleur » ne commanderait-il pas ? Poursuivant son analyse Apostolidès remarque que « [l]e couple de Geneviève et Gilles reste traditionnel en ce sens que l’homme se fait servir et que la femme prend sur elle la plus grande part des tâches ménagères. Le frère ne libère la sœur de l’emprise du Père que pour mieux la soumettre à sa propre surveillance. Le style a changé ; le nouveau maître est apparemment moins autoritaire. Il préfère séduire plutôt que de donner des ordres. » Là aussi, on peut transposer à l’I.S. — il y avait évidemment une division du travail au sein de l’I.S. qui n’était pas que sexuelle — ; et l’on retrouve aussi, des deux côtés, cette « communauté émotionnelle » qui vient cimenter d’autant plus fortement les relations qu’elles reposent justement sur la séduction.

(À suivre)

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