mardi 25 décembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 28



À propos de l’influence surréaliste qui apparaît visiblement dans l’orientation de l’I.L. au moment de la relation intense entre Chtcheglov et Debord, et notant en même temps la dévalorisation dont fait l’objet le surréalisme de la part de Debord, Eric Brun écrit, « Les écrits surréalistes apparaissent pourtant déterminant dans les diverses prises de position de l’I.L., y compris dans l’intérêt qu’elle porte à la ville. Tout d’abord, il faut noter que l’enjeu mis en avant par les lettristes-internationaux dans l’emploi de la “ville” est la même que celui qui présidait à “l’automatisme” surréaliste dans les années 1920. Dans son Histoire du surréalisme, Maurice Nadeau écrit à propos de la découverte de l’inconscient freudien et de l’automatisme : “Il existe des forces inconnues qui nous régissent, mais sur lesquelles nous pouvons espérer agir. Il n’est que d’aller à leur découverte.” Il s’agit bien de cela avec ce qui sera appeler par l’I.L. la “psychogéographie” : découvrir par une investigation des villes des forces qui déterminent le comportement afin d’agir sur elles. Comme “l’automatisme” surréaliste en son temps, l’urbanisme est à l’époque “envisagé comme un moyen de connaissance […]”. Plus encore, comme le montre Boris Donné, il semble bien que ce soit au contact des écrits surréalistes – Le Paysan de Paris d’Aragon, Nadja ou encore Pont-Neuf de breton – que la réflexion sur la ville comme terrain poétique et possible outil pour agir sur la vie émerge parmi les lettristes-internationaux. »

Brun ajoute : « Pour expliquer le paradoxe que, alors que l’I.L. entend dépasser les avant-gardes précédentes, elle reprend dans un premier temps, pour une large part, des idées déjà formulées par les surréalistes, Boris Donné fait l’hypothèse que de telles idées auraient été importées dans l’I.L. par Chtcheglov, à l’insu de Debord qui ne les connaît pas. Ce dernier aurait été embarrassé en découvrant après coup cette influence surréaliste, ce qui aurait contribué à rompre l’amitié avec Chtcheglov, et ce qui l’aurait conduit à tout faire pour “occulter” les sources surréalistes des propositions de l’I.L. sur la dérive et le projet d’une ville nouvelle. » Brun ne croit pas à cette hypothèse ; avec raison. En effet, il apparaît que le jeune Debord s’intéressait trop aux surréalistes pour pouvoir se laisser tromper par une importation frauduleuse d’éléments de cette provenance. D’autant plus que le surréalisme (et Breton) est — et restera — le modèle à dépasser pour Debord.

En effet le lettrisme isouien, même s’il y a fait ses classes, ne pouvait être pour Debord qu’un passage transitoire. Eric Brun écrit : « Dans l’I.L. Debord entend ainsi porter à son tour le projet “radical” de l’avant-garde surréaliste (“transformer le monde” et “changer la vie”). […] / En d’autres termes, à côté d’un procès de l’esthétique, on retrouve  chez Debord et l’I.L. un procès de l’inscription sociale de l’art, un procès du “monde de l’art” actuel. […] / Un tel refus permet de retrouver la radicalité surréaliste des premiers temps et de disqualifier la posture “mégalomaniaque” adoptée par Isou. Cette posture est jugée ridicule par Debord, comme l’indique sa lettre de 1953 à Wolman, dans laquelle Debord assimile le discours d’Isou sur l’immortalité à un prêche religieux ; “beau” peut-être mais surtout “dérisoire” : “J’en fini donc avec les prêches d’Isou. Leur ton à la Bossuet m’a toujours beaucoup plu parce qu’il nie le monde donné et le méprise. Mais c’est au nom d’une transcendance presque aussi minable que Bossuet.” »

(À suivre)

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