jeudi 20 décembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 24



Voyons à présent comment Eric Brun présente son travail. Il écrit dans son Introduction générale : « L’internationale situationniste constitue un cas-limite pour l’étude des rapports entre l’art et la politique. L’I.S. en effet présente cette spécificité au moins apparente que, ayant été fondée en 1957 comme une avant-garde “artistique”, elle s’est “reconvertie” au début des années 1960 (à  l’initiative de Guy Debord principalement) dans une activité plus directement “politique”, abandonnant presque entièrement ses activités dans le monde des arts. » Il précise plus loin : « Cette étude tente donc de décomposer et suivre de près les transformations du mouvement situationniste entre les années 1950 et les années 1960, sous ses “différents” rapports (le rapport à l’art, le rapport au politique), première condition pour les comprendre et les expliquer. Ceci amène forcément à privilégier la figure de Guy Debord. » Et pour terminer : « En résumé, il s’agit ici, pour une grande partie, de faire la sociogenèse historique de la formation et de l’évolution des prises de position de Guy Debord sur l’art et la politique, en observant ses insertions sociales diachroniques et synchroniques. Cela ne veut pas dire qu’on peut négliger la dimension collective du mouvement. Pour comprendre la trajectoire de l’I.S. aussi bien que celle de Debord lui-même, il faut justement mettre en lumière les conditions des alliances successives de Guy Debord avec différents individus (alliances dont procède l’I.L. puis l’I.S.) ainsi que les conditions de son “appropriation” de l’I.L. puis de l’I.S. Cela impose dans le même temps d’étudier les relations entre les différents membres du groupe, et les trajectoires individuelles de ceux-ci. Compte tenu de la problématique ici soulevée, à savoir la reconversion d’un mouvement de l’art à la politique, je me suis limité à étudier la trajectoire de Debord et de l’I.S. de la période allant de la formation du mouvement lettriste en 1946 (rejoint par Debord en 1951) aux premières reconnaissances effectives de l’I.S. comme rivale directe par plusieurs groupes politiques à part entière (tels la Fédération anarchiste) ou intellectuels révolutionnaires (Claude Lefort par exemple), c’est-à-die aux années 1966-1967. » Les choses sont donc claires et parfaitement délimitées. On ne peut s’empêcher de faire remarquer que malgré l’affirmation qui est faite de « ne pas négliger la dimension collective du mouvement », tout est fait pour ramener à la personne unique de Guy Debord, qui prend plus la figure d’un « démiurge » que celle du promoteur d’un mouvement dont il n’a été que l’un des fondateurs — et le principal animateur, c’est vrai.

Nous nous intéresserons donc à présent, à la « préhistoire » de l’I.S. On s’aperçoit que cette période, dont les « nouveaux situationnistes » ne connaissent pas grand-chose, va progressivement prendre une place de premier plan, au fur et à mesure que l’I.S. s’achemine vers la fin. Cela devient flagrant dans le Panégyrique ; le point culminant de l’évocation nostalgique de cet « âge d’or » se situant dans le film testamentaire de Debord : In girum imus nocte et consumilur igni — véritable opéra mythologique où toutes les figures de cet illud tempus à jamais révolu sont convoquées sur le « théâtre de la mémoire » pour une dernière représentation — par la suite on assistera à la mise en place d’un « cirque médiatique » où tout cela reparaîtra ; mais on ne peut en rendre Debord directement responsable puisqu’il n’était plus là pour le mettre en scène ; on peut penser néanmoins qu’il avait laissé des directives qui ont, de toute évidence, été suivies par ses fidèles — c’était le moins qu’on pouvait attendre d’eux.

(À suivre)

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