samedi 8 décembre 2012

Guy Debord et l’Internationale situationniste – Sociologie d’une avant-garde « totale » / Commentaire 14



Finalement, cette « spécialisation théorique » fera le succès de l’I.S. — et surtout celui de Debord puisqu’il en a été le maître d’œuvre — après 68. La société du spectacle est devenue un lieu commun très fréquenté. Mais ce succès aura malgré tout un goût amer parce que, au bout du compte, l’I.S. aura pratiquement échoué — et donc, théoriquement aussi — comme plus personne ne devrait l’ignorer.

Revenons, avec Eric Brun, à ce nouveau positionnement de l’I.S. décidé par Debord. « Après avoir mis l’accent sur la science et la rationalité causale contre les surréalistes, Debord reprend cette tradition marxiste qui postule l’impossibilité de connaître les faits humains sans “parier” sur un certain avenir de l’homme, et qui met l’accent sur la dialectique historique et sur la prophétie auto-réalisatrice. Celle-ci lui permet de résister au développement des sciences humaines et la figure de “l’expert” tout en affichant son propre caractère “révolutionnaire”. À ce niveau, on peut dire qu’elle lui permet aussi de trouver une voie entre le prophétisme isouien et les illusions d’“objectivité” d’une certaine sociologie empirique. […] Il faut en effet, pour conclure, noter que c’est à partir du thème du “pari” que Debord résume sa conception de “l’avant-garde” dans son texte “L’avant-garde en 1963 et après adressé à Estivals. Dans ce texte, Debord explique à son interlocuteur qu’une “sociologie de l’avant-garde” n’est possible qu’en entrant dans le langage et ajoute : “[…] langage ne veut pas dire ici mystère transcendant et indiscutable : non, mais un ensemble d’hypothèses susceptibles d’être examiné, adopté ou rejeté, qui est en fait un pari pour – et contre – un certain monde et son devenir […]” »

Il faut insister sur les conditions dans lequel se fait ce « pari » — qui sera un pari perdu. C’est un pari sur le retour de la révolution sociale à une époque où il semblait improbable à beaucoup d’observateurs de la question. Là où d’autres ne voyaient plus rien venir l’I.S. « prophétise » sur des « signes » qu’elle semble être la seule à percevoir ; et annonce au monde incrédule l’imminence du prochain assaut prolétarien contre la société de classes. Et, contre toute attente, l’Histoire, qui ne s’arrête jamais de marcher même quand elle divague, semble devoir lui donner raison. Mais il y a, au cœur de tout cela, un malentendu que l’I.S. et Debord feront tout pour lever sans y parvenir ; et pour cause : un ensemble de révoltes (plus ou moins spectaculaires) qui semblent faire masse, ne fait pas une révolution. La méprise vient certainement du fait que Debord, et les situationnistes qu’il entraîne à sa suite, se font une idée de la Révolution, qui tire encore sa poésie du passé — et que : « The times are a-changing. »

(À suivre)

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