mardi 8 janvier 2013

Guy Debord et le deuil de l’engagement / 4



Bien évidemment Debord ne peut pas être un dissident comme, et parmi, les autres dans cette période de reflux où se met en place cette idéologie de la survie qui la caractérise. « Le journaliste Greil Marcus constate que “la notion que Bettelheim appelait en 1976, une ‘survie dénuée de signification’, où ‘seule compte la survie à tout prix’, avait envahi toutes les formes de discours. […] La nouvelle idéologie se lisait dans les titres des disques : Survivor, Rock and Roll Survivor, “You’re a survivor”, I Survive, “Soul Survivor”, Street Survivors, Survival, Surviving, “I Will Survive”, encore et encore, dans une redondance sans fin. […] Pour tous ceux qui furent les ennemis déclarés du système, abandonner l’organisation qui concrétisait la lutte, c’est se retrouver face à soi, au centre du système, survivre dans le système capitalisme. Pour certain c’est le passage par la psychanalyse, pour d’autres la drogue, le mysticisme, voire la métaphysique ou le suicide. Guy Debord après qu’Adorno et Horkheimer aient relevé l’émergence de cette idéologie de l’autoconservation, n’en est pas là. Ayant fustigé l’idée de survie dans la traduction française du pamphlet de Censor, le titre de survivant est, de fait, inadéquat, trop commun et trop consensuel pour être partagé. Il affirme avec In girum être le seul vivant dans ce qu’il nommera plus tard “ces répugnantes années soixante-dix”. »

Finzi récapitule l’itinéraire de Debord et son contexte : « Ces “répugnantes années soixante-dix” » [il] les passe entre la France et Florence » où, « [a]vec son ami Sanguinetti, qui possède d’ailleurs une bibliothèque entièrement dédiée à Machiavel, ils ourdissent ensemble quelques coups à l’encontre d’un État fallacieux, séducteur et captieux. […] / Durant cette période, certaine similitudes d’agitations politiques sont observable dans l’espace européen et, si le Portugal de 1974-76 est un précipité des tensions politiques françaises, l’Italie en est le miroir grossissant. En Italie, le « mai rampant » débouchera sur les « années de plomb et « la politique du pire (tanto peggio, tanto meglio) : les attentats terroristes » ; alors que le Portugal verra brève floraison de la « révolution des œillets ». « La période “italienne” de Debord qui s’étend de 1973 à son expulsion d’Italie en 1977, participe de la maturation de sa théorie critique, dont l’écho est a trouver tant dans ses écrits que dans In girum. Un pied en France, où le reniement et le retour à la normale sont généraux, et un pied en Italie où l’agitation bat son plein dans un “spectacle” dont l’État retire les bénéfices les plus sanglants, Debord est à cheval entre deux situations de radicalité politiques bien distinctes. » C’est dans ce contexte que Censor voit le jour : « L’opération Censor, à travers son succès relatif, laisse apparaître un primat du style sur les retombées à long terme de cette action : expliquer l’échec de la “guerre sociale” qu’aurait été le “mai rampant” pat la simple présence du PCI que tout attribuer à l’absence du parti. Car, en effet, ce point de vue anticommuniste ne cherche absolument pas à savoir pourquoi les ouvriers continuent à suivre le PCI, à voter pour lui. L’auteur du livre, c’est son projet affiché mais également son résultat, se soucie plus de réfléchir pour la bourgeoisie, à qui il donne de bon conseil pour auto-préservation, que pour le prolétariat qu’il prétend mettre au devant de la révolution sociale. »

Il ne fait pas de doute que, comme l’écrit Finzi, « [le] contexte italien par ses aspects généraux et ceux touchant Debord en particulier, constitue un intertexte prépondérant dans la réalisation d’In girum. Il est, dans l’itinéraire de nombreuses personnes très engagées depuis les années cinquante, une plaine où l’histoire se décharge et que l’on choisit d’observer de loin ou de fouler jusqu’à lever la poussière. Laboratoire politique européen un peu exacerbé et creuset concrets des flous dans les extrêmes politiques, cette confusion parfois intéressée ne connaît pas de frontière. L’Italie est également terrain d’expérimentation et avant-poste des nouvelles stratégies de “dissidence” : là où toute subversion sert le système et la réaction, des initiatives marginales voient le jour. »

(À suivre)

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