vendredi 8 février 2013

« In girum » à la lumière du « canon rétrograde » ou Une tentative d’« ouverture » du « canon fermé » / 12



Debord a trouvé dans les films de Carné et Prévert les illustrations — il n’y a pas là de détournement à proprement parler — qui convenaient à l’évocation de sa « jeunesse rebelle » dans les « bas-fonds » de Paris. D’abord dans Les Enfants du Paradis, principalement dans la figure de Lacenaire, « bandit lettré » ; puis dans Les Visiteurs du Soir, avec celles du Diable et de ses « émissaires », auxquels Debord et Michèle Bernstein sont identifiés : « Dominique dit à Gilles, la nuit dans le château : “Les autres nous aiment, ils souffrent pour nous ; nous les regardons ; nous nous en allons. Joli voyage, le diable paye les frais.” » ; comme il y a identification avec celle de Lacenaire. Évidemment, cela contribue à mythologiser les événements ; mais surtout, et il faut y insister, ces figurent négatives sont retournées positivement.

Ce n’est là qu’un exemple des nombreux retournements que l’on retrouve tout au long du film et sur lesquels il faut revenir. Tout d’abord, et avant tout, il y a le titre-palindrome, qui fait l’objet d’une longue animation ; celui-ci se retrouve dans l’incruste finale : « À reprendre depuis le début. » Mais, c’est l’ensemble du film qui est structuré sur cette notion de retournement — de renversement. Ainsi dans le Prologue, Debord précise bien : « De prime abord, j’ai trouvé bon de m’adonner au renversement de la société, et j’ai agi en conséquence. » Tout de suite après, dans un extrait de film quelconque consacré aux aventures de Zorro, on peut voir, comme nous l’avions déjà noté, le héros masqué retourner une mitrailleuse contre l’adversaire. Curieusement Debord dans son commentaire de la scène ne parle pas de retournement, comme on pouvait s’y attendre ; il écrit : « Il [Zorro] escalade un mur, s’empare d’une mitrailleuse et la braque sur quelques personnes malveillantes qui se rendent. » Mais on ne voit rien de tout cela : ni qu’« il escalade un mur », ni qu’il « s’empare de la mitrailleuse », encore moins qu’il « la braque sur quelques personnes malveillantes qui se rendent » ; la seule chose que l’on voit c’est qu’il retourne l’arme contre l’adversaire.

En dehors du titre, le palindrome apparaît une première fois, cité textuellement, pour évoquer la vie au « quartier » : « Mais rien ne traduisait ce présent sans issue et sans repos comme l’ancienne phrase qui revient intégralement sur elle-même, étant construite lettre par lettre comme un labyrinthe dont on ne peut sortir, de sorte qu’elle accorde si parfaitement la forme et le contenu de la perdition : In girum imus nocte et consumimur igni. Nous tournons en tond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu. » La seconde, vers la fin du film, dans une paraphrase, pour décrire une situation qui s’est généralisée à l’ensemble de la société : « Ils tournent en rond dans la nuit et ils sont dévorés par le feu. »

On trouve une seconde allusion au « renversement de la société » : « La formule pour renverser le monde, nous ne l’avons pas cherchée dans les livres mais en errant. » Le thème du « monde à l’envers » est une constante. Debord parle de « l’imagerie inversé du spectacle ». Le « monde à l’envers » revient un peu plus loin associé à la figure du diable : « Quand on ne veut pas se ranger dans la clarté trompeuse du monde à l’envers, on passe en tout cas, parmi ses croyants, pour une légende controversée, un invisible et malveillant fantôme, un pervers prince des ténèbres. Beau titre, après tout : le système des lumières présentes n’en décerne pas de si honorable. »

(À suivre)

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