vendredi 22 mars 2013

Le « grand jeu » de Guy Debord / 3



Le jeu change alors de dimension en même temps que l’élargissement de son aire ; et se transforme en un « jeu de la guerre » qui nécessite une pensée stratégique plus élaborée. Debord qui a toujours aimé jouer « aux petits soldats », s’est beaucoup intéressé aux « théoriciens de la stratégie » Il imagine dès 1956 un Kiegspiel dont un prototype sera réalisé en 1965. Il affirmera lui-même que « ce jeu [était] destiné d’abord au courant situationniste international pour qu’il s’y exerce à la dialectique – à toute fins utiles » — il s’agissait donc d’un « simulateur de guerre » (sociale). Il écrit dans son Panégyrique : « J’ai joué à ce jeu et, dans la conduite souvent difficile de ma vie, j’en ai utilisé quelques enseignements – pour cette vie, j’avais aussi fixé moi-même une règle du jeu ; et je l’ai suivie. »

On voit que Debord prend soin de distinguer le « jeu de la guerre » du « jeu de la vie » tout en suggérant une relation entre les deux. Mais, s’il dit du premier qu’il « met en jeu les opérations de deux armées de force égale, chacune recherchant, par la manœuvre et la bataille la destruction de l’armée adverse », il ne donne pas de précision sur le second. On sait d’ores et déjà que les « forces » n’y sont pas égales. — Ralph Rumney a bien vu que, si Debord cherchait bien des « égaux », il « était plus égal que les autres » ; ne serait-ce que parce qu’il s’agissait de son jeu et qu’il en connaissait toutes les règles contrairement aux autres.

La révolution de vie la quotidienne — « pour nous et tout de suite » — si elle ne voulait pas rester un jeu médiocre circonscrit à une petite société — un petit libertinage entre amis — devait donc nécessairement s’élargir à la dimension du « grand jeu révolutionnaire » seul capable d’instaurer ce nouvel art de vivre auquel Debord aspirait. Mais la dimension du jeu reste essentielle à la révolution : « Les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas, car la vie qu’elles annoncent sera elle-même créer sous le signe de la fête. Le jeu est la rationalité ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu’il pourra reconnaître. »

(À suivre)

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