lundi 25 mars 2013

Le « grand jeu » de Guy Debord / 5



« On lutte aussi par jeu. » Cette phrase mise en italique en début de paragraphe dans un chapitre des Commentaires sur la société du spectacle est là pour signifier que, même dans les luttes de pouvoir pour l’hégémonie politico-économique sur le « grand théâtre du monde »*, la dimension du jeu reste présente. Le jeu est partout : l’homme est d’abord un homo ludens**. Parlant pour lui, Debord aurait pu écrire : je lutte surtout par jeu.



Du « grand théâtre du monde » redescendons sur une scène plus petite où le jeu, sous une autre forme, conserve cependant toute son importance. Apostolidès écrit dans Les Tombeaux de Guy Debord : « Avant 1962, sous l’influence des moralistes classiques, Debord se forge de la vie une conception théâtrale qu’il gardera jusqu’à la fin. Il évoque la société en termes de décor, de mise en scène ou de coulisses. […] Avant même de définir une action révolutionnaire, il oppose au grand théâtre du monde, dans lequel les rôles sont en dehors du contrôle des individus, des pratiques comme la dérive ou le détournement, dont la finalité est de rompre avec la représentation dominante. » — qui sera définie comme spectacle.



En attendant, dans le « petit théâtre » du Quartier, autour du « couple pivotal » qu’il forme avec Michèle Bernstein, gravite une petite cour dont la configuration évolue au gré d’une dérive libertine des sentiments — encore que le libertinage exclut les sentiments qui en la matière sont plutôt un facteur de désagrégation — ; tout cela est mis en scène sous la forme romanesque dans Tous les chevaux du roi. Un Correspondant me faisait remarquer, à juste titre, la parenté qu’il y a entre le roman de Michèle Bernstein et celui de Roger Vaillant : Drôle de jeu. Il y a en tout cas un rapprochement évident à faire entre Vaillant et Debord en ce qui concerne le libertinage et l’usage de la « belle langue » classique.



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* On sait que Calderón a écrit un ouvrage intitulé El gran teatro del mundo. Moins connu que La Vie est un songe, ce chef-d’œuvre de l’auto sacramental est la « clé de voûte du grand art dramatique de l’Espagne du Siècle d’or ». François Bonfils, dans sa Préface (Garnier Flammarion), écrit : « Le “théâtre du monde” est une métaphore qui sert à qualifier la fragilité de la vie humaine, et que les écrivains déclinent parfois autrement : la vie est un pèlerinage, une auberge, un jeu d’échec, un songe, autant de variantes pour un même thème. » — on peut rajouter la guerre à la liste.



** Le livre de Huizinga est une des références de Debord.



(À suivre)

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