samedi 13 avril 2013

Une précision (et une interrogation) concernant « In girum à la lumière du canon rétrograde »



Dans l’épisode deux, il était question d’Éliane Papaï, la « petite amoureuse » de Debord — « Celle qui était la plus belle cette année-là. » — qui revient à plusieurs reprises dans le film — « “Nous tournons en rond dans la nuit, et nous sommes dévorés par le feu”. La même revient. » — avec les photographies suivantes : 
 




Il y avait erreur de ma part : ce n’est pas Éliane Papaï qui se trouve sur la seconde photo. Debord montre bien deux fois la même : la première. Cependant, il faut noter que la seconde présente une grande ressemblance avec la première. C’est une photo recadrée qui illustrait un article du magasine Elle intitulé : « Je défends l’érotisme à l’ancienne. » Dans les Œuvres cinématographiques complètes, elle est légendée : « Une mineure détournée. » (Le commentaire en voix-off de Debord dit : « C’est là que sont les petites filles qui te donnent tout, d’abord le bonsoir et puis la main… […]. ») — et elle apparaît dans la séquence avant celles d’Éliane Papaï.
 



Sur la photo de l’article découpée par Debord et recadré dans In girum, la fille qui ressemble à Éliane est étroitement enlacée par un garçon dont on distingue mal le visage — mais qui associé à celui de la pseudo-Éliane renvoie au couple que la vraie formait avec Jean-Michel Mension ; et ainsi à un épisode de la vie au Quartier. Debord n’a pu qu’être frappé par cette ressemblance qui réactivait pour lui un souvenir douloureux ; et c’est sans doute pour cela qu’il a archivé l’article. La photo recadrée sera utilisée à la place de celle d’Éliane Papaï qui apparaîtra deux fois par la suite. Jean-Michel Mension — il n’est pas directement évoqué ni montré mais il est pourtant très directement associé à Éliane Papaï pour Debord — brosse de « la petite Éliane » le portrait suivant : « […] après passage et évasion de la maison de correction de Chevilly-la-Rue, tenue par des bonnes sœurs, se trouvait dans un Bon Pasteur du côté du XVIe arrondissement. À la première occasion, elle se pointait dans le quartier et retrouvait Guy Debord. Probablement par prudence, il ne fumait pas de hasch, ou alors du bout des lèvres. Mais Éliane était passionnée par ce produit et nous allions fumer sous un pont […]. / Et ce qui devait arriver se passa. […] nous nous retrouvâmes une nuit chez Raymond Hains couchés et faisant l’amour. Debord fit alors une tentative de suicide raté réussie, et partit se reposer quelques jours à Cannes chez ses parents. »** Il est certainement resté à Debord, de cette époque, une blessure qui ne s’est pas refermée : « Brûlante, trop brûlante blessure de l’amour. »

Cet exemple montre, à l’évidence, que les images utilisées par Debord ne sont pas « juste des images » destinées à illustrer une histoire, ni à plus forte raison des « images justes » (ou fausses) — bien que l’on retrouve ces cas de figure dans ses films — ; mais que certaines d’entre-elles, pour peu qu’on puisse les déchiffrer, donnent accès à une autre histoire — ou plutôt à des dessous occultés — qui est la vérité de celle qui est montrée. Cela est particulièrement vrai d’In Girum, film testamentaire, où Debord boucle son histoire.

 _________________

* Ce qu’on peut lire de l’article de Elle n’est pas sans rapport avec notre propos.

** Le temps gage, Aventures politiques et artistiques d’un irrégulier à Paris, Éditions Noesis.

5 commentaires:

  1. Aussitôt qu'une de vos fameuses trouvailles «à la lumière du canon rétrograde» est démentie, vous dénichez triomphalement un autre os … votre flair vous désigne comme le Rantanplan de la debordologie !

    RépondreSupprimer
  2. Cette publicité, dont l’existence dément l’interprétation et la méthode «à la lumière du canon rétrograde» du fameux debordologue Rantanplan (au flair si légendaire) figure dans "La Fabrique du cinéma de Guy Debord" (illustration 65) qui vient de paraître chez Actes Sud par les soins de Fabien Danesi, Fabrice Flahutez et Emmanuel Guy. CQFD

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mon petit Alex. Vous avez encore perdu une occasion de vous taire. Je n’ignore évidemment pas que l’article de Elle que je reproduis vient du bouquin de Danesi & Co. puisque c’est là que je l’ai trouvé. Seulement, ce document qui vient lui-même des archives Debord de la BnF, est là parmi d’autres. Danesi n’en dit rien de particulier — comme il ne dit rien de la provenance du palindrome-titre du film de Debord dans son article du catalogue de l’exposition sur In girum.

      Cela dit, comme vous avez l’air de vous intéresser de près aux publications qui accompagnent la célébration debordiene de la BnF, je ne saurais trop vous conseiller de vous procurer le livre de Zagdanski : Debord ou la diffraction du temps paru en 2008 et ressorti des oubliettes pour l’occasion. Outre le fait de contribuer à éponger les invendus, vous aurez la satisfaction de lire la prose d’un thuriféraire convaincu comme vous que Debord est le héros des temps modernes.

      Supprimer
    2. Cher Rantanplan, ne tentez pas de vous faire plus malin que vous ne l'êtes : vous passez votre temps à parler à tort et à travers de Debord et à construire des théories vaseuses à propos d'In girum. Pendant ce temps-là, vous ne faites pas de bêtises, c'est entendu, mais vous en écrivez assurément.

      Supprimer