mercredi 29 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 17



La nostalgie de la jeunesse perdue s’exprime dans le détournement d’un quatrain d’Omar Káyyám : « “Quand nous étions jeunes… » — mais la jeunesse est morte. « Vois le fond de tout cela : que nous arriva-t-il ? – Nous étions venus comme l’eau, nous sommes partis comme le vent.” » » Et encore des images de guerre : « Travelling depuis un avion qui mitraille des troupes débarquées sur une plage, les dispersant. » L’heure est venue du bilan. Debord apparaît en Lacenaire avec un dernier extrait des Enfants du paradis : « […] Lacenaire revoit Garance qui lui demande : “Dites-moi plutôt de que vous êtes devenu ?” Et il lui répond : “Je suis devenu célèbre. Oui, j’ai réussi quelques méfaits retentissants […].” Garance sourit : “mais c’est la gloire, Pierre-François.” Et lui : “Oui ça commence… Mais, à la réflexion j’aurais tout de même préféré une éclatante réussite littéraire.” » Cette dernière phrase de Debord / Lacenaire prend une résonance singulièrement ironique à l’heure de la célébration de la BnF — bien loin de celle qu’elle pouvait avoir alors.

Le rétrospective se poursuit par la déclinaison des différentes demeures habitées par notre « héros ». À Paris, la « maison, impasse de Clairvaux » ; « [u]ne autre, rue Saint-Jacques » ; encore « [u]ne autre, rue Saint-Martin ». En Toscane, « [u]ne autre, dans les collines du Chianti » ; « [u]ne autre à Florence ». Et, pour finir, sa dernière demeure « [d]ans les montagnes d’Auvergne » — elle ne le deviendra en fait que bien plus tard, après son suicide. Le commentaire prend alors le ton funèbre d’une oraison avec un détournement du Testament de Villon : « “Où sont les gracieux galants – que je suivais au temps jadis ?“ Ceux-là sont morts ; un autre a vécu encore plus vite, jusqu’à ce que se referment les grilles de la démence. » Les « morts », dont les photos apparaissent à l’écran, sont : « Ghislain de Marbaix » ; « Robert Fonta » ; « Asger Jorn ». L’« autre » est Ivan Chtecheglov qui est évoqué encore une fois à travers la figure du Prince Vaillant d’Harold Foster ; et une dernière séquence du film de Carné et Prévert : « Gilles chante, enchaîné dans sa prison des “Visiteurs du Soir” : “Triste enfants perdus, nous errons dans la nuit […]. Le diable nous emporte sournoisement avec lui […]. Notre jeunesse est morte, et nos amours aussi.” » À l’écran se succèdent : « Une inconnue. » ; « Une jeune amante d’autrefois. Un autre, contemporaine. D’autres amies du temps passé. » — parmi celles-ci, Michèle Bernstein et Éliane Papaï ici réunies dans le « café de jeunesse perdue ».

Suivent une série de photos de Debord lui-même aux différents âges de sa vie ; dont celle prise dans un miroir par Alice. La série se clôt sur « [l]e dernier autoportrait de Rembrandt. » On peut, à ce propos, se rappeler d’une ancienne déclaration de Debord en ouverture de Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps : « Nous, nous avons beaucoup d’orgueil, mais pas celui d’être Rembrandt dans les musées. » dans laquelle il est difficile de ne pas voir aujourd’hui l’ironie qui ne s’y trouvait certainement pas alors.

(À suivre)

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