samedi 4 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 3



La question du titre de ce film « difficile » n’est évidemment pas anodine ou accessoire. D’autres ont été envisagés, mais c’est celui-là : In girum imus nocte et consumimur igni, rencontré en cours d’élaboration, qui a été retenu. Où que Debord l’ait trouvé, et qu’il ait dissimulé ou non cette origine, nous faisons l’hypothèse que cette rencontre — hasard objectif en tout cas — est apparu d’emblé à Debord comme étant en parfaite adéquation au contenu de son film, dont il organise les éléments préalablement rassemblés — comme les « structures portantes » de Jorn pour les Mémoires — dans le « scénario ». Son film trouve ainsi dans le palindrome non seulement un titre mais, à travers celui-ci, la forme de son contenu : celle d’une spirale qui vu dans l’axe apparaît comme cercle — image conjointe du temps et de l’éternité.

La figure du palindrome a été l’occasion de rapprocher Debord de Nietzsche. Ainsi Fabien Danesi* : « La figure du cercle – présente dans cette phrase – témoigne en faveur de l’éternel retour nietzschéen, plutôt que de la linéarité historique. » ; qui note cependant le « motif de la spirale », à juste titre : « cette figure réunit un développement chronologique inéluctable et un possible renouvellement » — ce qui n’est pas nietzschéen : celui-ci postule l’éternel retour du même. S’il faut rapprocher Debord d’un philosophe, c’est plus certainement vers Héraclite qu’il faut se tourner. D’abord parce qu’on y retrouve les deux grands thèmes du film de Debord : l’eau et le feu. De plus, s’il est bien le penseur de l’écoulement de toutpantha rhei — tout s’écoule éternellement : tout passe sauf le passage. Il faut aussi rappeler le rôle du feu chez Héraclite : « Ce monde, le même pour tous, ni dieu, ni homme ne l’a fait, mais il était, il est et il sera, feu toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure. » ; et encore : « Mort de la terre, de devenir eau, mort de l’eau, de devenir air, de l’air de devenir feu ; et inversement. » ; et enfin : « Le feu, survenant, jugera et saisira tout. »**


____________________

* Dans l’article consacré à In girum dans le catalogue de l’exposition Debord de la BnF.

** Les citations d’Héraclite sont tirées de l’édition incomparable des Fragments due à Marcel Conche aux PUF.

(À suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire