samedi 11 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 7




Paris occupe une place importante dans le film de Debord, non seulement parce qu’elle est liée à la jeunesse rebelle du « héros », mais aussi parce qu’elle renvoie plus profondément à une autre ville illustre : Ilion, avec laquelle elle symbolise. Comme la cité troyenne Paris va tomber aux mains de l’ennemi après une lutte héroïque ; et connaître la destruction. Plus généralement, Paris résume et exprime à elle seule le destin du monde moderne : « La destruction de Paris n’est qu’une illustration exemplaire de la maladie mortelle qui emporte en ce moment toutes les grandes villes, et cette maladie n’est elle-même qu’un des nombreux symptômes de la décadence matérielle d’une société. »

C’est dans cette ville mythifiée que tout à commencé — in illud tempus — et que tout finira pour Guy Debord — dans une ultime dérive : de la pointe du Vert-Galant, où jadis fut dressé le bucher du grand maître des Templiers ; et au-delà. Et cette ville des origines et des fins dernières qui sert de décors aux premières aventures de nos héros est évoquée dans le film de Debord à travers des extraits d’autres films caractéristiques. Celui de Carné, Les Enfants du paradis, tourné pendant la guerre et entièrement en studio ; c'est-à-dire dans un décor factice. Comme l’est aussi celui de La Nuit de Saint-Germain-des-Prés, cité à plusieurs reprises qui, pour n’être pas reconstitué en studio, n’en est pas moins fabriqué ; de même que le Café des Poètes dans Orphée. Tout est donc faux dans cette reconstitution faite par Debord pour mémoire dans son film ; mais ce n’est justement qu’une reconstitution puisque, aussi bien, « Paris n’existe plus » au moment où il entreprend de faire cette relation. A-t-elle d’ailleurs seulement existée en dehors de la mémoire des acteurs qui ne sont plus là pour en parler ? Et puis, si Ilion n’avait pas été prise* ? Ou que la guerre de Troie, n’ait pas eu lieu ? N’est ce pas le jeune Debord qui parlait d’une « conception purement arbitraire de l’histoire »** ? Mais si « dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » pourquoi le faux ne serait-il pas un moment du vrai dans la reconstruction artistique de celui-ci ? Un exemple bénin mais significatif de cette réécriture de l’histoire : NE TRAVAILLEZ JAMAIS, le fameux slogan pré-situationniste de Debord tracé sur un mur de la rue de Seine et que lui conteste Jean-Michel Mension ; pourquoi ne serait-il pas véritablement de sa main puisque, s’il ne l’a pas écrit lui-même, il est assuré, au moins, qu’il aurait très bien pu le faire ?

Poursuivons donc, en gardant présent à l’esprit ce caractère d’arbitraire que peut revêtir l’histoire telle que la raconte Debord et qui empêche que l’on fasse crédit à ce qui y a toute les apparences de la vérité plutôt qu’à ce qui paraît, à première vue, plus douteux. On doit toujours se poser la question de savoir à quel niveau situer cette « vérité » : est est-elle en surface ou faut-il descendre, et jusqu’à quelle profondeur, pour accéder ainsi à certaines pièces dérobées où elle se trouverait.

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* Dion de Pruse, Ilion n’a pas été prise, Les belles Lettres. « Et si l’Iliade n’était que l’assemblage de fictions plus mensongères les unes que les autres ? Et si la représentation qui y est offerte de la guerre de Troie était contraire à la réalité historique ? »

** Le marquis de Sade a des yeux de fille, Librairie Arthème Fayard.

(À suivre)

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