mercredi 15 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 9



« In girum imus nocte et consumimur igni. » D’entrée de jeu le palindrome donne le fin mot d’une l’histoire qui s’écrit au passé : « C’était à Paris […] » ; en même temps que la forme éternelle dans laquelle elle s’inscrit : celle du cercle. Mais cette circularité ne signifie en rien le retour du même parce que si « tout s’écoule à la fois, les événements et les hommes » ; tout s’écoule tout le temps. Elle implique ainsi le temps en elle-même dans son développement spiralé qui permet à Debord de revenir de loin après le long voyage. L’évocation forcément nostalgique de ce « moment parfait » est magnifiée sous l’aspect des aventures héroïques d’une « nouvelle chevalerie » dont le modèle est celle qui fait l’objet du cycle de la table ronde à laquelle s’identifie la petite « société secrète »que forme l’internationale lettriste — qui est elle-même identifiée à un certain milieu : « l’intraitable pègre, le sel de la terre ». C’est de tout cette complexité qu’il faut rendre compte si l’on veut véritablement pénétrer cette histoire qui est en fait un emboitement d’histoires qui se situent à différents niveaux du temps et de l’espace — comme dans le Roland Furieux de l’Arioste où dans La Quête du Graal. Ce qui vaut pour cette première époque à Paris vaut pour la seconde et la troisième respectivement situées à Florence et à Venise.

Le premier exploit du « héros » abordé est la projection agitée de Hurlements en faveur de Sade à travers une longue citation qui se conclut par : « Nous vivons en enfants perdus nos aventures incomplètes. » Elle se prolonge avec une brève séquence tirée d’un autre des « grands films » de Carné utilisés par Debord : Les Enfants du paradis. On y voit : « Au balcon d’un théâtre, la foule indignée [qui] scande : “Le rideau !”. » ; ce qui renvoie au scandale de la première projection du film de Debord. Il faut remarquer que ce détournement en inverse le sens : dans Les Enfants du paradis le public veut que le rideau se relève pour que le spectacle reprenne.

Suit un « portrait de l’artiste en vieux bandit » impénitent. On voit pour la première fois la photo au miroir : « Debord à quarante-cinq ans. » qui réapparaîtra vers la fin du film. Ce portrait est illustré par une séquence des Enfants du paradis où Lacenaire fait lui-même le sien à Garance ; il est introduit par le commentaire en voix off de Debord : « On a beau dire : “Il a vieilli ; il a changé” ; il est aussi resté le même. » qui cite Pascal. La séquence avec Lacenaire est la quatrième d’une série sur le thème, cher à Debord, des « voyous » et des « assassins », qui renvoie aux lettristes internationaux ; plus directement et ironiquement évoqués dans la scène du Café des Poètes de l’Orphée de Cocteau où ils faisaient de la figuration. Le nom lui-même de « Lacenaire, bandit lettré », est cité par Debord, dans le commentaire qui accompagne le second extrait des Enfants du paradis, comme l’une des figures majeurs dans lesquelles ceux-ci se reconnaissaient, avec « Arthur Cravan, déserteur de dix-sept nations ». Le premier de ces extraits : « Quelques plans de la foule sur le Boulevard du Crime, reconstitué pour “Les Enfants du Paradis” » sert d’illustration introductive à la description du Quartier (latin).

(À suivre)

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