samedi 17 août 2013

À propos de : Debord, etc. / 2



« On essaiera de tenir l’équilibre entre l’admiration (immense) et la détestation (extrême). », affirme encore notre anonyme dans son Introduction avant d’aborder le sujet — mais il s’agit plutôt de le saborder voire de le saboter. Après un premier chapitre qui passe vite fait en revue quelques-unes des influences debordiennes : Breton, Sartre ; et où il déplore sa « liaison » contre-nature avec Lebovici qui était, dit-il, une « grande erreur » parce qu’il est « malsain de dépendre d’un grand bourgeois » quand on est un révolutionnaire ; il aborde son domaine de prédilection : « L’âge d’or de l’Internationale Situationniste (1964-1969) ». Disons tout de suite que nous ne sommes pas d’accord avec cette qualification. Si l’on considère l’activité de l’I.S. dans son ensemble, on s’aperçoit assez facilement, à l’examen, que ce prétendu « âge d’or » est de mauvais aloi — qui plus est, il va se solder par la faillite de l’entreprise situationniste.

Dire que c’est pour s’être débarrassé de « ses oripeaux anti-artistes, des sous-produits surréalistes (dérive), etc. » que Debord « fit alors preuve d’une lucidité sans égal sur l’Algérie, sur les États-Unis, sur la Chine, sur mai 68 même », n’est pas sérieux. Les grandes qualités de stratège et de théoricien que l’on doit reconnaître à Debord se retrouvent tout au long de sa carrière — du début jusqu’à la fin où elles ne seront plus mises au service que de sa seule cause. (Sa capacité à analyser une situation sans sortir de chez lui en lisant simplement les journaux et en déplaçant les pièces d’un kriegspiel est sans doute le trait le plus remarquable de son talent.) Il n’empêche que la liquidation des artistes qu’il a opérée au début des années 60, si elle a constitué une rupture radicale avec la période précédente ne fut en rien un progrès, bien au contraire. En la coupant de ses racines (anti)artistiques Debord appauvrissait (intellectuellement et humainement) l’I.S., la condamnant ainsi à plus ou moins long terme. Si personne ne niera le rôle joué par l’I.S. dans la révolte de mai 68, le fait est que celle-ci sonnera la fin de celle-là. On peut même affirmer que l’I.S., qui était visiblement en bout de course avant 68, fut sauvé in extremis par le retour mondial de la subversion cette année-là — qui lui permis ainsi de finir en beauté.

Une des grandes qualités de Debord aura été l’opportunisme : il a toujours su tirer le meilleur parti des situations qu’il n’avait pas lui-même crées. Cela est particulièrement visible après 68 qu’il s’annexera sans vergogne. Notre anonyme écrit : « Comme quelqu’un qui a fait un placement spéculatif et veut retirer ses billes, comme un financier qui réalise un retour sur investissement, mutatis mutandis, juste après 68 Debord engrange les fruits de la réussite, se voyant récompensé, tout révolutionnaire qu’il est, de sa prescience, de sa lucidité, de ses analyses sur la société, etc. » C’est assez vrai. À la différence près qu’il va devoir justement s’employer à survaloriser le rôle de l’I.S. dans cet épisode révolutionnaire dont on peut dire que, si elle l’avait annoncé, elle n’en aura été somme toute que l’une des composantes — certes la plus radicale mais aussi la plus minoritaire ; se montrant d’autant moins capable de propager l’incendie révolutionnaire qu’elle était elle-même sur le point de s’éteindre.


(À suivre)

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