dimanche 24 novembre 2013

Lectures – Confession de Guy Debord / 3



Il faut noter le : « Atlas va être un fou encore plus gênant que Voyer. » Parce que les deux sont stigmatisés comme des « fous » ; et parce que Debord établit lui-même une hiérarchie entre ces deux « fous ». La question se pose, indépendamment de la qualification qui n’appartient qu’à Debord : pourquoi Atlas l’emporte-t-il sur Voyer ? On notera aussi qu’Atlas, dans son livre, évite de citer le nom de Voyer dans une citation qu’il produit et où il apparaît pourtant avec le sien.

C’est une citation tirée d’un des (très) rares inédits de Debord* qui se trouve dans le catalogue de l’exposition de la BnF : « “Nous remarquerons en passant que les nombreux ouvrages, une pluie de livres et de brochures qui ont fait quelques réserves sur les pensées et les actes de M. Debord, émanant de MM. (…) Atlas et bien d’autres penseurs diversement estimables ou révolutionnaires plus ou moins fameux…” » Le passage omis, est le suivant : « MM. [Estivals, Isou, Frey, Denevert, Lefebvre, Voyer, Mulligan, etc. etc.] Atlas […]. »

Cela dit, c’est en l’occurrence l’apparition du nom d’Atlas dans ce contexte qui importe puisque le spectre précise que sa « confession testamentaire » s’adresse « d’abord au “Suisse impartial” » — qui se révèle être Belge ! Il ajoute les précisions suivantes à propos du « rédacteur supposé du pamphlet fictif – anonyme – dirigé contre [lui] » : « Pour sans visage que je le présente, cet adversaire a une identité. […] L’inquiétante identité tenait à son inexistence, l’individu s’étant fait connaître en signant dans un journal belge, le seul texte auquel je n’ai pu apporter une réponse digne de ma réputation, par un pronom latin à ce point indéfini qu’il est devenu dans notre langue le nom commun désignant l’absence de toute identité : Quidam. »

Il convient ici de citer un passage des Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici auquel le spectre fait lui-même allusion dans sa Confession : « Il me faut à nouveau faire un aveu de malversation volontaire. Dans les Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici (1985), consacrés à la réfutation de tous les jugements portés par la presse à mon encontre suite à ce fait divers (après un premier ouvrage, Tout sur le personnage, lui aussi paru chez Champ Libre, publiant l’ensemble de ces articles in extenso**), je réserve en fin de volume, un sort spécial à ton analyse qui de toute évidence n’émanait pas de cette gazette [Le Soir de Bruxelles] puisqu’il s’agissait explicitement d’une “Carte Blanche” signée par un lecteur. Le fait est d’autant plus saillant que ton nom ne s’accompagne d’aucune mention d’identité que ce pronom : Quidam. Or je ne le signale dans aucune de mes deux publications, qui laissent croire à une polémique contre la gent médiatique. Nul n’aura pourtant manqué de percevoir la gêne inhabituelle de mon argumentation pour ne pas te répondre. Il se fait, en effet, que jamais quiconque ne s’était avisé d’user à mon égard de ce procédé stylistique dont je me croyais le seul détenteur : une manière de prendre les choses d’assez haut pour englober des entités distinctes sous un même regard critique. Ce qu’à ma grande confusion tu fis, déroulant un raisonnement en forme de chiasme qui m’appariait à Lebovici. »

Voici ce passage : « Le soir de Bruxelles, du 7-9 avril, considère que l’Internationale situationniste a extraordinairement réussi, rencontre à l’heure actuelle l’admiration générale, a changé toutes les idées de son époque et que ce n’était vraiment pas la peine, puisqu’au fond toutes les révolutions sont circulaires, que l’on aboutit toujours à être récupéré, et qu’en somme on a toujours tort de se révolter. On cite ce qui est arrivé à Gérard Lebovici comme un exemple de la profonde ironie de l’histoire, où chacun doit changer de rôle, fatalement. J’aurais moi-même un curieux rôle, pour correspondre à ce schéma circulaire : “L’on frémit à voir, dans le drame de l’avenue Foch, comme l’accomplissement inexorable d’une logique atroce dans son ironie même, inhérente à certains destins. Suivant le déroulement d’une circularité terrifiante, c’est au moment où le révolutionnaire ayant fait profession de ‘vivre dangereusement’ acquiert la sécurité que l’‘homme installé’ qui baille les fonds trouve sa fin tragique dans le tourniquet d’un parking souterrain. Et il n’est même pas impossible qu’au fond de ce labyrinthe dont il ne trouverait plus jamais la sortie, la dernière évocation à l’esprit du producteur et mécène Gérard Lebovici fût le palindrome latin qui, en tournant indéfiniment sur lui-même en sorte que la fin en est identiquement le commencement, fait le titre du dernier film de Debord à l’affiche du cinéma Cujas : In girum imus nocte et consumimir igni. (‘Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu’.) »


______________________

* L’inédit en question est une suite de fiches relatives à un pamphlet que Debord a finalement renoncé à écrire et qui se serait intitulé : Les erreurs et les échecs de M. Guy Debord par un Suisse impartial.

** Tous les articles n’ont pas été publiés in extenso. Voyer reproche justement à Debord qui a supervisé l’édition de Tout sur le personnage d’avoir voulu faire croire qu’il écrivait dans Libération. Procédé semblable à celui employé avec la lettre du Quidam au Soir de Bruxelles. En effet, le jeudi 15 mars 1984, Libération faisait paraître dans son Courrier un texte de Voyer à l’entête de l’Institut de Préhistoire Contemporaine, illustré d’un primate cravaté, adressé à Hélène Hazema surtitré : CHIANT LIBRE, Le bruit et le führer ; et signé : Oberda Hegel Sturmführer VOYER — toutes choses qui disparaissent dans Tout sur le personnage où ne se retrouve que le texte de la lettre suivi de la mention : Jean-Pierre Voyer (Libération, 15 mars 1984.).


(À suivre)

2 commentaires:

  1. Pauvre Lippert ! en être réduit à vouloir faire parler d’outre-tombe Guy Debord pour lui faire réciter les âneries d'Anatole Atlas ! Quelle misère !

    Le plus amusant est que la présentation de son ouvrage a dû subir une modification.

    Voici donc un échange de mails avec l’éditeur de Lippert-Atlas :

    Le 20 oct. 2013 à 13:57, Alex a écrit :
    Monsieur,
    Dans la présentation par les Éditions de la Muette du livre d’Anatole Atlas Confession de Guy Debord, est posée la question suivante :
    « Suite à la coûteuse exposition organisée à la BNF, et à l’exposition organisée par BHL, l’une et l’autre présentant les mêmes tableaux de Debord — laquelle des deux en exposa de faux ? »
    Or la BnF ne possède, et n’a exposé, que des photographies des deux premières Directives (voir p. 131 du catalogue Guy Debord, un art de la guerre, Gallimard-BnF, Paris 2013) et les tableaux originaux, en possession actuellement de MM. François Letaillieur et Daniel Buren, sont exposés jusqu’au 11 novembre à Saint-Paul-de-Vence. Jean-Louis Lippert, tout occupé à ses commentaires malveillants, feint de l’ignorer et préfère mentir. De l’humour belge, sans doute ?
    Cordialement,
    Alex

    From La Muette Editions Sun Oct 20 17:33:31 2013
    Monsieur,
    Nous faisons supprimer ce paragraphe sur la page de présentation du livre.
    La modification sera effective lundi dans la journée,
    Cordialement,
    Bruno Wajskop
    Editions La Muette - Le Bord de l'eau
    +32 497 57 48 59
    contact@lamuette.be
    www.lamuette.be
    www.editionsbdl.com

    Le 21 oct. 2013 à 02:08, Alex a écrit :
    Monsieur,
    Je vous remercie de la suppression sur votre site de ce paragraphe si offensant pour la vérité.
    En espérant que dans le livre que vous éditez ne se retrouvera pas d'autres affirmations aussi fantaisistes.
    Cordialement,
    Alex

    Comme on voit la méthode est claire et le résultat probant.
    Ni la BNF ni la Fondation Maeght n’ont exposé de faux tableaux de Debord contrairement à ce que Lippert prétend, et son éditeur n’a pu soutenir un tel mensonge.

    Quant au reste, prendre au sérieux les élucubrations de Lippert-Atlas ne mérite que rires et sarcasmes.

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  2. Que la BnF ou la Fondation Maeght aient exposé ou non des faux est strictement sans importance. Ce qui est risible, c’est que soient exposé pieusement — comme d’autres reliques : table où « l’artiste » a écrit La Société du spectacle, lunettes, etc. — ces fameuses « directives » qui ne sont au mieux qu’une plaisanterie anti-artistique à laquelle s’est livré Debord. Que des imbéciles s’extasient aujourd’hui devant ces pauvres choses les juge.

    À côté de ça, « les élucubrations de Lippert-Atlas », dont on peut rire si on veut, ne font pas si mauvaise figure ; et méritent certainement autant qu’on s’y intéresse.

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