jeudi 28 novembre 2013

Lectures – Confession de Guy Debord / 4



Atlas évoque encore, par spectre debordien interposé, une autre allusion le visant : « Les brochures d’Atlas attirèrent mon attention dès leurs premières apparitions confidentielles, comme l’atteste ma correspondances rendue publique, où ce n’était pas trop mentir que de te donner du “stalinien” et du “fou dangereux”. / J’y fais une allusion très peu voilée dans mes Commentaires sur la société du spectacle. Par la suite, il me parut avisé de ne plus te répliquer. » Mais il ne donne pas la référence. Ce pourrait être le passage suivant des Commentaires où il est question de la désinformation : « Il commence à paraître , d’une manière assez confidentielle, des textes lucides, anonymes ou signés par des inconnus […], non seulement sur des sujets qui ne sont jamais abordés dans le spectacle, mais encore avec des arguments dont la justesse est rendue plus frappante par l’espèce d’originalité, calculable, qui leur vient du fait de n’être en somme jamais employés, quoiqu’ils soient assez évident. » — ce qui ne désigne pas évidemment Atlas ; mais admettons.

Le spectre poursuit, dévoilant la « terrible » critique d’Atlas : « Contrairement aux flots de polémiques stupides ou de mauvaise foi, qui toutes acceptaient mes propres prémisses, tu fus le seul à diriger contre moi ta critique d’un point de vue parfaitement déraisonnable aux yeux du sens commun – rejeté par l’ensemble des opinions occidentales, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, communistes compris : le point de vue soviétique. Ce qui me prenait à contre-pied. Toute la cohérence de ma stratégie ne reposait-elle pas sur le postulat de l’invalidité d’une telle vision, pour le motif d’une contradiction logique entre le pouvoir bureaucratique et l’idéal proclamé des soviets ? Cela paraissait à tous une affaire entendue depuis les Nouveaux Philosophes et Jean-Paul II. Soit étaient frappées d’évidente nullité tes délirantes assertions, soit elles recelaient un germe de pertinence non logique mais dialectique : mon arme de prédilection rhétorique. Ne t’avisais-tu pas d’affirmer que la geôle mentale en laquelle se trouvait incluse l’humanité sous le règne d’un capitalisme dionysiaque imprégné d’idéologie situationniste, était tributaire de ce verrou conceptuel représenté par le mot “soviétique” ? Ne t’autorisais-tu pas à comparer le goulag à une peccadille, en regard du projet d’extermination massive d’une force de travail – ou d’un capital variable – surnuméraire, qui concernera plusieurs milliards d’humains ? N’allais tu pas jusqu’à considérer la course aveugle au suicide collectif de cette machine qui, depuis le début de l’ère convulsive, ne cessait d’accélérer le mouvement autonome du non-vivant sous les plus riantes couleurs, aggravant toujours plus la dictature sur la valeur d’usage de la valeur d’échange et scindant avec toujours plus de démence l’homme d’avec lui-même comme d’avec la nature (l’idée vient de Marx) – avait pour seul alternative une voie guidée par l’étoile rouge ? »

On aborde là la critique centrale qu’Atlas dirige contre le stratège Debord via son spectre lui-même : « Donc, forclos l’hypothèse du communisme* en la conscience humaine, cet aboutissement de l’humanisme qui “la véritable fin de la querelle entre l’homme et la nature comme entre l’homme et l’homme” (Marx) Soit l’impossible mission d’Hamlet. C’est donc le prélude à toute confession que d’avouer combien notre pilonnage intensif de la notion même de Parti communiste, ainsi que des syndicats de classe, concourut au délabrement complet du prolétariat face au patronat ; de même la négation de l’art ne pouvait aboutir qu’à la mort de toute mémoire authentique, telle que depuis l’Iliade elle se trouve assumée par l’aède… »


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* N’a-t-on pas vu récemment un Parti imaginaire réactiver cette « hypothèse communiste » dans une postface à son manifeste pour une Insurrection qui vient ? : « Le communisme donc, comme présupposé et comme expérimentation. Partage d’une sensibilité et élaboration du partage. Évidence du commun et construction d’une force. Le communisme comme matrice d’un assaut minutieux, audacieux contre la domination. Comme appel et comme nom, de tous les mondes résistants à la pacification impériale, de toutes les solidarités irréductibles au règne de la marchandise, de toutes les amitiés assumant les nécessités de la guerre. COMMUNISME. Nous savons que c’est un terme dont il faut user avec précaution. Non pour la raison que, dans le grand défilé des mots, il ne serait plus à la mode. Mais parce que nos pires ennemis l’ont usé, et qu’ils continuent. Nous insistons. Certains mots sont comme des champs de bataille, dont le sens est une victoire, révolutionnaire ou réactionnaire, nécessairement arrachée de haute lutte. »


(À suivre)

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