samedi 2 novembre 2013

Partons à la pêche au gros avec La Ligne de risque



Donc : Meyronnis et Haenel sont sur un bateau (probablement ivre/s). Là, ils ont une Révélation : Dieu n’est pas mort. Il leur apparaît sous les espèces d’un (gros) poisson : une baleine ; et la baleine leur parle. En fait, ils ne sont pas vraiment sur un bateau ; ils sont embarqués dans un (gros) livre : Moby Dick — mais ils ont une vraie révélation. Depuis, investis par la Parole et « l’étoile au front », ils prophétisent et vaticinent à tout va. Dans une revue qu’ils ont créée ad hoc ; et dans leurs ouvrages respectifs. Et que disent nos deux prophètes (de malheur) ? En gros (et en détail) : qu’on est dans la merde ; mais que tout espoir n’est pas perdu parce que dans cet océan de merde (noire) se trouve une baleine (blanche).

Mais trêve de plaisanterie. Comme tous les cassandres, Meyronnis et Heanel ne sont pas drôles — mais, il n’y a pas de quoi non plus, c’est vrai. Leur petite entreprise littéraire (et critique) qui se réclame des « grands anciens » : Lautréamont dont ils ne se sont pas remis, Debord dont ils essaient de revenir, auxquels il faut joindre quelques littérateurs héroïques pour compléter l’équipage — la tiqqunerie dont ils se sont approchés sans vraiment y aborder est à mettre à part, nous y reviendrons — est d’ailleurs tout à fait honorable. Parmi les « anciens », il ne faut pas oublier Sollers qui présente surtout l’avantage, pour eux, d’éditer sans mégoter tout ce qu’ils écrivent — à condition, bien sûr, de se trouver en bonne place sur la photo de famille (on ne peut rien refuser à Philippe).

Cela étant, on peut se poser la question de savoir ce qui ressort finalement de tout cela. On comprend bien qu’avec leur Ligne de risque Meyronnis et Heanel ne veulent pas se contenter du menu fretin facile qu’on ramasse à l’épuisette : ils ambitionnent de prendre place à la suite des entreprises d’avant-garde qui les ont précédé ; et qui ont disparues corps et biens, en ne laissant qu’un grand vide, dans lequel ils s’engouffrent sans façon. Cela ne va pas sans une certaine ambiguïté. Faut-il le rappeler à ces « beaux enfants » : l’aventure des avant-gardes est morte. Cependant, ils en arborent sans vergogne la défroque : une revue (plus ou moins) confidentielle, une position de vigie solitaire doublée de la pose altière du rebelle face au vide de l’époque — même pas peur ! Bref une critique désarmée qui menace. On a déjà vu tout cela. Même dans le messianisme, ils n’innovent pas : Tiqqun est passé par là (la Kabbale, etc.). Leur néo-gnosticisme lui-même laisse quelque peu perplexe quand on voit un Sollers revendiquer (sans rire) l’évangile selon Philippe ! Dans leurs (riches) références, il y a aussi le taoïsme, pourquoi pas ? La plus intéressante est sans doute celle à Mollâ Sadrâ et à la mystique shî‘ite qui n’intéressent jusqu’à présent que de (trop) rares spécialistes — dont Christian Jambet, compagnon de route de Sollers dans un autre temps. C’est un tout petit monde qui se retrouve finalement sur la Ligne de risque. Pour aller où ? C’est une autre histoire — à suivre, donc.

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