mardi 24 décembre 2013

Surréalisme et situationnistes au rendez-vous des avant-gardes – Commentaire / 4



Que Debord puisse dire dans son film testamentaire : « Je n’ai jamais bien compris les reproches, qui m’ont souvent été faits, selon lesquels j’aurais perdu cette celle belle troupe dans un assaut insensé, ou par une complaisance néronienne. », après avoir affirmé fièrement : « [J]amais, j’ose le dire, notre formation n’a dévié de sa ligne, jusqu’à ce qu’elle débouche au cœur même de la destruction », montre à l’évidence, comme toutes les scènes de batailles perdues qui repassent en boucle dans In girum, que « la destruction » était bien, si ce n’est ce qui était recherché, du moins ce vers quoi on ne pouvait manquer d’aller — et ce d’autant plus qu’une victoire était pour le moins improbable.

Nous sommes là au cœur d’une contradiction insoluble contre laquelle vient butter l’I.S. — Debord reprochaient aux dadaïstes d’avoir voulu « supprimer l'art sans le réaliser » — le surréalisme ayant voulu « réaliser l'art sans le supprimer » ; quant à l’I.S. elle-même, elle ambitionnait rien moins que de « réaliser la philosophie ». Seulement l’I.S. qui se situe d’emblée après la « mort de l’art » va se retrouver dans la même position que les dadaïstes : c’est-à-dire dans l’impasse. Et ce parce que l’horizon dadaïste est indépassable : il aurait fallu aux dadaïstes une révolution sociale qui avait eu lieu ailleurs mais qui fut écrasée en Allemagne. Les surréalistes, qui voulaient dépasser dada, se sont retrouvés dans un cas similaire : une révolution avait bien eu lieu, ailleurs, dont ils se réclamèrent ; mais, las !, elle fut trahie — et ainsi ils furent cocus après avoir été « cocos ». Les situationnistes venant après — « Arriver le dernier, voici le nec plus ultra de l’avant-garde. » dixit Janover — en tireront la leçon ; mais ils n’auront eu, au bout du compte, que la révolte de mai à accrocher à leur boutonnière. Cette décoration aura cependant suffi à faire leur gloire — avant l’apothéose du « héros » revendiquée par Alice dans le miroir spectaculaire (le principal défaut du miroir est qu’il présente une image inversée).

« Part bénie du surréalisme, l’art devient la part maudite, et les situationnistes s’inscrivent donc au-delà de l’art. » écrit Janover. Mais cette « part maudite » — c’est-à-dire l’abandon dédaigneux du coté artistique non-dépassé — va faire retour dans l’esthétisation de la politique, dans une esthétique de la révolte qui se soucie plus de la « belle action », de l’action admirable fut-elle suicidaire, que de construire un Parti révolutionnaire — ce qui évidemment était plus difficile à faire que d’en appeler à la formation spontanée de Conseils ouvriers, en dehors de toute réalité. On n’oubliera pas que le grand modèle de Debord en la matière est Retz.

(À suivre)

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